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les deux époux, se jetant dans les bras l’un de l’autre avec des torrens de larmes, adressèrent à haute voix d’ardentes actions de grâces à la divine miséricorde. Son voyage de Sibérie à Saint-Pétersbourg fut une espèce de triomphe. Dans chaque ville et dans chaque village, les soldats qui avaient combattu avec lui contre les Turcs venaient saluer leur vieux général. Pierre III l’accueillit avec bonté, il lui fit don d’une épée d’honneur et lui restitua quelques-unes de ses hautes fonctions administratives ; mais Munich retrouvait à la cour des souvenirs trop irritans, et ses anciennes passions se réveillèrent. Pierre III essaya vainement de le réconcilier avec Biren. Malgré la résignation dont il avait donné de si nobles preuves, malgré les religieuses ferveurs que l’infortune avait développées dans son âme, on voyait souvent reparaître l’ambition altière et les despotiques allures de l’aventurier. Lorsque Pierre III, après un règne trop court, fut renversé du trône par le hardi coup de main de sa femme Catherine II, Munich resta fidèle, un des derniers, à l’empereur fugitif ; il voulait monter sur un navire avec son bienfaiteur, aborder en Prusse, rassembler des partisans, soulever des provinces, marcher sur Saint-Pétersbourg avec une armée de cent mille hommes, et si Pierre III avait eu assez de courage pour adopter ce projet, il paraît assez probable que la révolution de 1762 aurait été rapidement étouffée. Pierre III courbe la tête devant l’audace de l’impératrice, et Munich, le lendemain, va offrir son épée à Catherine II. Il s’avilira même jusqu’aux plus basses flatteries ; oubliant que Catherine a fait périr le tsar à qui il doit sa délivrance, il ne craindra pas de l’appeler la déesse de la justice. C’était le moment où Catherine réintégrait Biren dans son duché de Courlande. Les deux rivaux, dont la dramatique histoire est l’image la plus expressive de l’esprit allemand en Russie, allaient mourir quelques années après, Munich en 1767, Biren en 1772, âgés tous deux de plus de quatre-vingts ans.


IV

La grande habileté de Catherine II fut d’employer les généraux et diplomates allemands, tout en laissant aux vieux Russes (Alt-Russen) l’apparence de la faveur et du pouvoir. On sait que Catherine II était Allemande. Fille d’un prince d’Anhalt-Zerbst, elle avait été mariée par Frédéric le Grand lui-même au duc de Holstein-Gottorp, qui devait devenir le tsar Pierre III, et que Catherine renversa à l’aide du parti moscovite. Elle travailla toute sa vie à apparaître aux yeux de ses peuples comme le type le plus complet de l’esprit russe. Qui aurait pu se souvenir que Catherine était Allemande ? Son frère, le duc d’Anhalt, ne fut jamais admis à sa cour ; les chefs moscovites entouraient