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il était défendu à tous les agens de la communauté de rien vendre aux Moscovites. Grâce à cette politique hautaine et à cette vigilance de toutes les heures, la ligue hanséatique avait transformé déjà une partie de la Russie occidentale. Novogorod la grande, l’une des plus vieilles cités russes et la plus considérable qu’il y eût alors, n’était pas seulement le centre de ses opérations ; elle était devenue, sous l’influence des marchands de Brême et de Lubeck, une sorte d’état libre pareil à certaines communes d’Allemagne et de France. Surtout comment ne pas se rappeler ici les villes italiennes du moyen âge ? Quand les grands-ducs de Russie, en ces lointaines années, quittèrent la résidence de Kiev pour s’établir à Novogorod, ils n’étaient en réalité que des capitani del popolo au milieu d’une république de marchands. Cette situation singulière se prolongea jusqu’à la fin du XVe siècle. C’était le moment où Ivan le Terrible rassemblait énergiquement toutes les forces de la Russie afin de l’affranchir du joug des Tartares ; il résolut d’enlever à Novogorod son existence indépendante, et bientôt en effet, après avoir paru disposé d’abord à laisser aux habitans leurs anciennes franchises, rappelé dans la ville par les dissensions intestines qui la troublaient, il profita de la circonstance pour achever sa conquête. Les vieilles mœurs cependant conservaient toujours beaucoup de force ; les anciens maîtres du pays, ces boyards à demi civilisés et ces chefs hanséatiques si fiers de leurs trésors et de leurs privilèges, n’avaient pas perdu tout leur prestige. Ivan fit transporter les principaux citoyens, négocians ou boyards, sur les points les plus éloignés de son empire, tandis que des marchands de Moscou et des boyards plus dociles venaient prendre à Novogorod la place des exilés. C’est là, comme on sait, un procédé de la politique russe qui ne se trouve pas seulement dans les sombres annales d’Ivan le Terrible. Une si cruelle atteinte au pouvoir de la ligue ne suffisait pas encore à Ivan ; cette influence libérale était debout à ses portes, il la poursuivit avec rage au sein même de la Livonie. Des Russes de Riga et de Revel ayant été condamnés à mort, selon l’usage allemand du moyen âge, pour de hideuses débauches contre nature, le tsar vit là une occasion toute naturelle d’accomplir son dessein. Il somma le chef de l’ordre de lui livrer les magistrats, n’attendant qu’un refus pour envahir le pays. La fière attitude des Livoniens le fit reculer. « Les criminels ont été justement châtiés, lui fut-il répondu, et si le tsar faisait chez nous ce qu’ils ont fait, le tsar serait traité comme eux. » Irrité de ne pouvoir frapper ses ennemis à Riga, le tsar avait la ressource de se venger sur les Allemands de Novogorod. Il ne se priva pas de ce plaisir. Tous les agens de la ligue qui n’avaient pas eu le temps de prendre la fuite furent jetés dans les cachots ; la vieille cloche de bronze, symbole de la liberté communale,