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L’histoire de la Livonie nous offre, en un tableau restreint, l’histoire même des relations de l’Allemagne avec l’empire des tsars. Les Allemands s’avancent avec intrépidité dans ces contrées incultes, ils y portent la religion, les lumières, le commerce, tous les élémens d’une civilisation meilleure ; ils se flattent de soumettre à l’influence germanique ces races, disent-ils, moins nobles et moins heureusement douées, mais bientôt cet esprit d’une propagande civilisatrice va s’éteignant de siècle en siècle, des pensées égoïstes succèdent aux ambitions généreuses, la politique indécise de l’Allemagne contribue elle-même à ce résultat par un lâche abandon de ses enfans, et ces hardis pionniers qui devaient conquérir la Russie à la patrie allemande finissent par courber la tête sans trop de peine sous le joug des Moscovites.

Cette mission que s’étaient donnée pendant plusieurs siècles les chevaliers porte-glaives, une armée de négocians intrépides la poursuivit aussi vers le même temps dans des proportions plus grandes encore et jusqu’en des contrées plus lointaines. Rien de plus curieux que les rapports de la ligue hanséatique avec les peuplades de la Russie. On ne sait pas exactement à quelle époque cette libre et puissante association pénétra dans les provinces moscovites ; ce qui est certain, c’est que dès le XIIe siècle elle avait des comptoirs, ou, comme on disait, des factoreries, bien au-delà de la Livonie et de la Courlande. Établis à Pezlov, à Novogorod, et de là enlaçant dans le réseau de leur activité un grand nombre de villes russes, les marchands hanséatiques semblaient camper au milieu de ces barbares comme une expédition conquérante. Ce n’était pas assez d’installer leur commerce dans le pays, il fallait se défendre sans cesse contre la brutalité ou la ruse. Les règlemens de la ligue, dans ces postes périlleux, avaient tout à la fois quelque chose de militaire et de monacal. Chaque soir, les églises, les comptoirs, les fabriques, devaient être fermés à une heure fixe. De sévères amendes, la prison, souvent même la peine de mort, étaient prononcées contre les délinquans par un tribunal inflexible. L’hôtel de la hanse, espèce d’entrepôt et de maison commune, avec une église construite souvent dans l’intérieur de l’enceinte, était gouvernée comme une forteresse. Les acheteurs russes n’y pouvaient entrer que le jour, et dès le coucher du soleil d’énormes chiens lâchés dans les cours aidaient les sentinelles à faire bonne garde. Le pouvoir de la ligue était immense. Si elle avait réussi à dominer les pays scandinaves malgré la concurrence de la Hollande et de l’Angleterre, il lui était facile de faire la loi sur ces marchés lointains où elle ne trouvait pas de rivaux. Quand les villes russes refusaient aux marchands hanséatiques les privilèges qu’ils réclamaient, le conseil de la ligue déclarait villes et provinces en interdit ;