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croyons, sont beaucoup plus près de la vérité, puy vient du mot latin podium, qui signifie un lieu élevé, une éminence, et par extension une estrade, un théâtre, les membres de ces sortes de confréries ayant l’habitude de se placer pour réciter leurs vers dans un endroit qui dominait les assistans. Quoi qu’il en soit de cette explication, et sans chercher à pénétrer plus avant dans le mystère des origines, nous nous bornerons à dire que la confrérie du Puy-Notre-Dame d’Amiens fut fondée en 1388 par les poètes de cette ville, que les statuts de cette confrérie furent renouvelés en 1451, et qu’à cette date le nombre des confrères était de vingt-deux, ce qui prouve que la poésie était au moyen âge beaucoup plus goûtée et plus populaire que de notre temps ; car dans quelle ville de province aujourd’hui, fût-ce même parmi les plus importantes, pourrait-on parvenir à former une pareille réunion de rimeurs ?

Chaque année, le 2 février, jour de la Purification, les confrères se réunissaient pour élire un maître. L’élection terminée, le maître sortant de charge donnait un grand dîner, appointé à gracieuse et courtoise despense, pendant lequel on jouait un jeu de mystère. Après la représentation, les poètes qui avaient fait une pièce de vers en l’honneur de la Vierge remettaient au maître leurs ballades ou leurs chants royaux, et les juges du concours, choisis parmi les anciens maîtres et les personnes les plus habiles en gaie science, se réunissaient en comité secret pour examiner les compositions des concurrens et adjuger le prix à la plus méritante. Le lendemain, 3 février, on s’assemblait de nouveau pour entendre la messe des trépassés, car le moyen âge n’oubliait jamais les morts, et à l’issue de la messe on proclamait le nom du poète qui avait remporté le prix, lequel consistait en une couronne d’argent. Des concours poétiques avaient également lieu aux fêtes de l’Annonciation, de l’Assomption, de la Nativité, de la Conception, de Noël et de la Toussaint. La peinture comme la poésie avait sa place dans ces solennités. Chaque année, la confrérie faisait exécuter un tableau dont le sujet était une allégorie mystique en l’honneur de la Vierge. Ces tableaux, à dater des premières années du XVIe siècle, furent suspendus aux piliers de la nef de la cathédrale d’Amiens, et quelques-uns d’entre eux ont pu justement être regardés comme des œuvres d’art d’un grand mérite.

Après avoir exposé en détail l’organisation de la confrérie de Notre-Dame-du-Puy, et comparé l’histoire de cette association littéraire et mystique avec celle des palinods de Rouen, des chambres de rhétorique de la Flandre et des confréries du même genre qui existaient sur d’autres points de la Picardie, M. Breuil cite d’après des manuscrits contemporains divers spécimens de la poésie des confrères, ballades ou chants royaux. Il suffira, pour en faire apprécier la valeur, de citer la strophe suivante, empruntée à l’une des meilleures de ces pièces, composée en 1602 par M. Pierre de Sacy ; le poète célèbre la naissance du Sauveur :


Phébé neuf fois avoit sa pleine face
Fardé des rays de l’astre hespérieux,
Quand du saint clos de cette humble terrasse
Naquit ça bas le Verbe glorieux.
Je te salue, du Père ô vive image,
Fils éternel, Dieu de Dieu, sans partage,
Phare divin, flambeau guide-raison ;