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sont reproduites d’après un recueil découvert récemment en Allemagne et conservé aujourd’hui au British Museum. Ce recueil, formé de pièces imprimées séparément en caractères gothiques, vers le milieu du XVIe siècle, à Paris, à Lyon et à Rouen, paraît avoir appartenu à un Allemand, amateur de théâtre, qui, venu en France vers 1550, aura réuni en un seul volume les brochures achetées dans le cours de son voyage. Cinq ou six de ces pièces au plus étaient connues jusqu’à ce jour, soit par des exemplaires imprimés, soit par des copies manuscrites, et la plupart peuvent ainsi être regardées comme paraissant pour la première fois. Les divers genres de la littérature dramatique du moyen âge y sont représentés en nombre suffisant pour donner une idée précise de notre ancien théâtre, en dehors toutefois des miracles et des mystères, qui se rattachent à une tradition différente, c’est-à-dire à l’histoire sainte et au mysticisme. Ce qui compose, à une seule exception près, cette première partie de la collection de M. Viollet-le-Duc, ce sont des farces d’abord, puis des moralités, des sotties et des sermons joyeux.

Les farces qu’on désignait, on le sait, sous le nom de farces joyeuses, facétieuses, récréatives, historiques, enfarinées, etc. y correspondent assez exactement à ce qu’on appelle, dans le vocabulaire du théâtre moderne, vaudeville, parade, folie ou pochade. Seulement l’intention satirique y est beaucoup plus marquée, et s’il y a presque toujours absence d’intrigue et de péripéties, on y trouve du moins, dans l’étude des caractères et la critique des mœurs, une verve pénétrante et une force qu’on chercherait en vain dans la plupart de nos pièces contemporaines. Toutes les conditions sociales y sont flagellées sans merci, et les hommes de guerre, les moines, les médecins, les pédans, les gens de robe et les gens de métier y figurent tour à tour avec leurs passions les plus triviales, leurs ridicules et leurs vices. Les femmes surtout sont l’objet constant des plus violens sarcasmes ; les auteurs inconnus de ces vives satires ne mettent jamais en jeu les sentimens affectueux du cœur. Pour eux, comme pour la plupart des casuistes, comme pour les auteurs des bestiaires et des fabliaux, la femme est un être plein d’astuce et de malice, mobile, irréfléchi dans ses affections, impérieux dans sa faiblesse, irritable, jaloux et trompeur par instinct. Ce caractère diabolique des filles d’Eve ne se dément jamais, et il semble même que, pour les humilier plus profondément, les auteurs des farces s’appliquent de préférence à les montrer dans la condition la plus sérieuse de leur sexe, dans le mariage, car ce sont presque toujours des femmes mariées qui occupent la scène. Le Conseil du Nouveau marié, la Farce très bonne et très joyeuse de l’Obstination des Femmes et la Farce du Cuvier résument heureusement ce qu’on pourrait appeler la critique du ménage dans notre ancien théâtre.

Dans la première des pièces que nous venons de citer, — le Conseil du nouveau marié, — un jeune mari s’aperçoit, bien avant la fin de la lune de miel, que sa nouvelle condition est espineuse et empeschante, comme on disait au XVIe siècle. Pour s’éclairer sur la conduite qu’il doit tenir, il va consulter un docteur, en le priant de le renseigner sur les problèmes de la casuistique conjugale. — Que faudra-t-il faire, lui dit-il, si, comme je le crains, ma femme est jalouse ? — Je ne vois à cela d’autre remède que d’être jaloux à ton tour. — Et si elle est infidèle ? — Tu te persuaderas fermement qu’elle est vertueuse ; tu ne la surveilleras jamais, pour ne point t’assurer de ton malheur.