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bords du Danube que si l’on y est indifférent, ou si l’on ne se croit pas assez fort ; or le gouvernement autrichien ne peut être indifférent à une guerre dont le Bas-Danube est le théâtre ; sa neutralité n’eût donc été qu’un aveu de faiblesse, et nous ne pensons pas que le cabinet de Vienne, quelles qu’aient été la sincérité de ses vœux pacifiques et la persévérance de ses négociations, se soit arrêté un seul moment à la pensée d’une abdication si humble de son rôle naturel pour le jour où la guerre réclamerait son intervention. Reste le troisième argument de M. Layard, les embarras que nous suscitera le concours de l’Autriche, lorsqu’il s’agira de dicter à la Russie les conditions de la paix. Ici encore l’intérêt évident de l’Autriche réfute de pareilles craintes. Quand l’Autriche aura pris le parti de tirer l’épée contre la Russie, elle sera la puissance européenne la plus intéressée à l’affaiblissement d’un voisin au ressentiment duquel elle resterait exposée. Sans doute nous croyons comme M. Layard que la France et l’Angleterre n’ont pas besoin d’alliés pour venir à bout de la Russie ; mais à nos yeux, indépendamment de l’avantage naturel qu’il y a toujours à réunir contre l’ennemi le plus de forces possible, la France a encore un intérêt plus direct peut-être que l’Angleterre à l’alliance autrichienne. Pour l’Angleterre, la guerre actuelle aura des résultats maritimes et commerciaux que la France ne pourra point partager également avec elle. Le dédommagement de la France ne peut être que continental ; nous ne pouvons avoir d’autre profit que le changement du système des alliances de l’Europe centrale, que la dissolution de cette ligue du Nord, qui, cimentée depuis quarante ans, ne nous a point laissé pendant sa durée de sécurité véritable, et dont la rupture éclatante de l’Autriche avec la Russie sera pour nous le premier gage.

Nous n’avons pas d’autres observations à présenter sur les dernières discussions du parlement anglais relativement à la guerre. Les petites manœuvres de parti, les attaques personnelles contre tel ou tel ministre, sont des incidens insigniflans à côté de ces grands intérêts, et ne peuvent avoir aucun attrait pour des étrangers. La seule chose qu’il y ait à constater, c’est que l’opinion de M. Cobden n’a pas d’écho dans la chambre des communes, et qu’au fond, pour la conduite de la grande guerre entreprise par l’Angleterre et par la France, il n’y a entre les partis anglais qu’une émulation de patriotisme. eugène forcade.



BEAUX-ARTS. — LA JEANNE D’ARC DE M. INGRES.

Le musée du Luxembourg doit s’enrichir prochainement d’une nouvelle œuvre de M. Ingres, œuvre importante par le sujet et par l’exécution. Cette fois l’éminent artiste est entré pleinement dans l’histoire de France, ou plutôt dans la poésie de cette histoire : c’est Jeanne d’Arc, notre grande héroïne nationale, qu’il a voulu nous montrer. Nous voudrions essayer de donner une idée de cette peinture, terminée hier. Et d’abord, un mot sur les souvenirs qu’elle éveille dans notre esprit et dans notre cœur.