Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenu légendaire, Guillaume au Court Nez, ainsi nommé parce que le glaive d’un Sarrasin, rompant le nasal et le haume et tranchant la coiffe, lui avait, comme dit le trouvère, « accourci le nez. » Après sa blessure, Guillaume n’avait plus voulu porter d’autre nom que celui qui rappelait cette mutilation :


Desoremais qui moi aime et tient cher
M’appelleront, François et Berruier,
Comte Guillaume au court nez, le guerrier.


Le preux a été l’objet favori de mainte geste, et son héroïsme y est peint sous les plus vives couleurs qu’alors trouvât l’imagination amie du merveilleux. Cela n’a pas empêché qu’à côté de toutes ces gestes il ne se rencontre un poème d’un autre ton, qui raconte la vie de Guillaume devenu moine, ou, pour me servir du terme ancien, le moniage Guillaume. Le héros, las de gloire mondaine, de guerres et de hauts faits, prend le parti, à la fin de sa carrière, de se retirer dans un monastère. Il suspend ses armes à un autel et vient se présenter devant l’abbé d’Aniane. Il est peu versé dans les lettres ; mais, dit l’abbé.


Sire Guillaume prudoms estes et sire ;
Si m’aïst Diex, nous t’apprendrons à lire
Nostre sautier, et à chanter matines,
Et tierce, et none, et vespres, et complies.


Malheureusement la bonne intelligence n’est pas de longue durée entre Guillaume et les moines. Le guerrier mangeait comme six, et, pour le vêtir, il fallait employer autant de drap que pour trois autres frères ; enfin il aimait à boire, et, quand il avait un peu trop dîné, ce qui lui arrivait souvent, sa parole devenait rude et ses gestes redoutables. Malheur à qui lui parlait alors d’office et de prières ! On a beau lui expliquer la règle. — J’aime mieux celle des chevaliers, dit Guillaume :


Assez vaut mieux l’ordre des chevaliers ;
Il se combatent ans Turs moult volentiers,
Et souvent sont en leur sanc baptisié.
Mais ne voulez fors que boire et mangier,
Lire et dormir………


C’est ainsi que la geste héroïque et sérieuse, pleine des ardeurs guerrières et féodales, est devenue un poème héroï-comique où le redoutable paladin, ayant désormais à combattre la bure, la règle et l’abstinence est rarement vainqueur et se venge sur les moines de ses déconvenues perpétuelles.’

L’intention n’est pas moins marquée dans le Voyage de Charlemagne à Constantinople, composition fort ancienne, probablement