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tière, aura à s’appuyer sur elle. Ce mouvement de l’armée autrichienne est pour l’instant l’acte qu’il faut attendre. Il peut avoir une influence décisive, non-seulement parce qu’il montrera toutes les forces occidentales agissant en Orient dans une même intention, mais parce qu’il est en outre de nature à déterminer peut-être d’autres accessions à la politique européenne sur des points différens. Ce n’est point d’aujourd’hui que la Suède incline vers l’Occident. Par sa position sur la Baltique, par les revendications qu’elle aurait à exercer vis-à-vis de la Russie, elle a toute sorte de raisons d’intervenir. L’Autriche entrant dans les principautés, une division française de débarquement arrivant dans la Baltique, les opérations de la guerre peuvent prendre tout à coup un caractère imposant, décisif et redoutable pour la Russie.

Voilà donc les armées des plus grandes puissances de l’Europe agissant déjà ou se disposant à agir. Et quel est le but de ces immenses déploiemens de forces ? Il n’est autre en vérité que de conquérir la paix ; seulement il reste à savoir quelles seront les conditions de cette paix. C’est une question qui était récemment discutée dans le parlement anglais. La France et l’Angleterre ont-elles la pensée d’envahir la Crimée, de poursuivre la destruction du port de Sébastopol dans la Mer-Noire ? Ce sont là, on le conçoit, des points qui ne se discutent pas avant la lutte. Ce qui est certain désormais, c’est que l’Europe ne peut accepter qu’une paix où elle trouve des garanties efficaces et une compensation suffisante des efforts qu’elle a dû faire pour rasseoir la sécurité de l’Occident menacé.

Ainsi se poursuivent les affaires d’Orient, et c’est au milieu de ces complications générales de la politique européenne que l’Espagne vient jeter, comme une diversion cruelle, l’embarras d’une crise d’autant plus grave qu’elle est désormais sans direction. Telle est la triste destinée de la Péninsule : elle rentre à pleine voiles dans la carrière des révolutions, et elle y rentre sous les plus sinistres auspices, dans des conditions qui rappellent ses jours les plus sombres. On ne peut plus dire aujourd’hui ce qui sortira de cette immense et indescriptible anarchie où a glissé l’Espagne en quelques jours. Ce n’est plus un ministère, un système politique, la domination d’un parti qui est en question : c’est l’ordre général, de telle sorte que ces dix années qui viennent de s’écouler, au lieu d’avoir, été l’élaboration d’un régime durable, ressemblent à une halte entre un passé anarchique et un avenir peut-être plus menaçant encore. Voilà l’histoire des événemens qui s’accomplissent ! Quand éclatait l’autre jour l’insurrection militaire du 28 juin, elle était prévue sans doute comme la conséquence fatale d’une situation extrême ; elle était favorisée par la présence à Madrid de l’un de ses chefs désignés, le général O’Donnell, réfugié, dit-on, sous la garantie du droit d’asile, dans une légation étrangère. Pourtant l’insurrection semblait au premier moment rester isolée et livrée à elle-même. Le combat de Vicalvaro, s’il n’était pas une défaite, n’était pas non plus une victoire pour elle. La défection n’avait pas gagné d’autres corps de l’armée. Le gouvernement parvenait encore, bien qu’avec peine, à organiser une colonne expéditionnaire pour la lancer à la poursuite des forces insurrectionnelles. C’est à cet instant que tout changeait subitement d’aspect, et que la vérité de cette situation se montrait à nu. Il est bien clair aujourd’hui que la retraite du général O’Donnell vers l’Andalousie