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sur les chagrins que Tricot et Lhomoud causaient à l’enfance, publia une brochure pour demander que la méthode pratique suivie par le père de Montaigne fût appliquée à tous les Français âgés de moins de sept ans, au moyen d’une maison de sevrage latin, desservie par des professeurs et des bonnes d’enfans qui ne parleraient exclusivement que la langue de Cicéron[1]. Les nombreuses éditions classiques qui furent faites à la même époque, entre autres la grande collection Lemaire, témoignent, mieux encore que les utopies philologiques dont nous venons de parler, de la faveur dont la littérature romaine a joui dans les premières années de la restauration.

Cependant, vers 1825, on entendit gronder sourdement l’émeute romantique. Horace et Virgile furent sacrifiés sans pitié à Dante, à Shakspeare, à Lope de Vega. Cette attaque contre les traditions les plus respectées de l’orthodoxie littéraire provoqua une réaction très vive parmi ceux qui restaient fidèles au passé. Les vieux classiques s’attachèrent à leurs auteurs avec une tendresse nouvelle, et pendant la querelle des deux écoles, les traductions, les commentaires, les éditions annotées des poètes romains se multiplièrent dans une proportion très remarquable. Vers les dernières années du règne de Louis-Philippe, les vieux illustres de l’antiquité grecque et latine avaient reconquis leur autorité souveraine, et c’est alors qu’on vit le public applaudir au théâtre, un peu par esprit de pénitence, la Lucrèce de M. Ponsard à côté d’autres essais, plus ou moins heureux, de tragédie classique.

Aujourd’hui, personne ne conteste plus la valeur littéraire des écrivains de l’antiquité ; le clergé lui-même, qui depuis longtemps s’était renfermé dans la théologie, s’est rallié aux études classiques. L’établissement des Carmes, dirigé avec un grand succès par M. l’abbé Cruice, a présenté aux examens de la Sorbonne des licenciés et des docteurs qui ont été reçus avec des éloges mérités, et quoi qu’en ait dit M. l’abbé Gaume, les auteurs grecs et latins figurent aujourd’hui dans le programme des collèges ecclésiastiques comme aux beaux jours des oratoriens et des jésuites. La question soulevée par M. Gaume, qui veut proscrire Virgile, Cicéron, Tite Live et Tacite de l’enseignement, sous prétexte qu’ils dépravent la jeunesse, et qu’ils tendent à nous ramener au temps de Julien l’Apostat, cette question, par son exagération même, semblait condamnée d’avance à ne trouver que des contradicteurs, et, chose remarquable, c’est parmi les membres du clergé que ces contradicteurs ont été le plus nombreux. Il y eut à cette occasion un curieux débat auquel prirent part MM. Landriot, Charles Martin, de Valroger, Arsène Cahour et Charles Daniel. Le livre de M. Daniel, intitulé Des Études classiques dans la Société chrétienne, nous a surtout paru remarquable par l’étendue des recherches, une mise en œuvre très méthodique et une grande justesse d’idées. L’auteur dit avec raison que rayer les classiques du programme des écoles ecclésiastiques, c’est mettre en cause la discipline de l’église, qui les a toujours admis, les corporations célèbres qui en ont propagé l’étude, et les pères qui s’en sont inspirés ; il montre par des preuves irrécusables que ce n’est point la lecture des auteurs païens, mais l’examen et l’interprétation téméraire de l’Écriture

  1. Éducation de Montaigne, ou l’Art d’enseigner à latin, à l’usage des mères latines, 1818, in-8o.