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Puis, tous deux échangeant quelques saluts courtois,
Le pasteur, à son tour, demande si parfois
Les vallons de Bretagne ont vu passer l’artiste  :
« Ce pays plaît au cœur comme une chose triste.
Qui dira les aspects changeans de sa beauté ?
Des forêts à la mer, tout est variété  :
Taillis, hameaux épars, landes, sombres rivages !
Partout l’âme y respire un parfum des vieux âges.
— Vous aimez la Bretagne, et moi je l’aime aussi.
Ce lointain souvenir ne s’est point obscurci.
Dans un âge pourtant cher à celui qui tombe.
Sous les remparts d’Auray j’ai vu de près ma tombe.
— Dans Auray, dites-vous ? Auray ! Vous me troublez.
Je vis aussi ma tombe au lieu dont vous parlez !
— C’était dans les cent jours, j’étudiais à Rennes.
Ces temps vous sont connus, leurs discordes, leurs haines.
Le pays se soulève, on s’arme, nous partons.
Face à face bientôt nous voilà  : tous Bretons.
Dans ce faubourg d’Auray je vois, je vois encore.
Moi, fédéré, portant le ruban tricolore.
Un chef des écoliers de Vanne, un ruban blanc  :
Mon coup part, et soudain son coup me perce au flanc !
Plus que ma balle à moi cette balle était sûre.
Dieu sait combien de temps j’ai senti sa morsure ! »

Et le prêtre  : « Seigneur ! ô Vierge, il n’est pas mort !
Je dépose à la fin le fardeau du remord !
Je n’ai plus à marquer un sombre anniversaire !
Ma messe d’aujourd’hui n’est donc plus mortuaire !
Mutuels meurtriers, l’un l’autre embrassons-nous,
Et, tous les deux sauvés, fléchissons les genoux…
Puis venez à l’autel  : devant le divin Maître
Arrivons en amis, et l’artiste et le prêtre. »

IV.

Ensemble ils sont partis ; mais au bruit de leurs pas
Les bruits de leurs discours ne se mêleront pas.
Tant l’heureux dénoûment de ces terribles drames
D’émouvans souvenirs occupe encor leurs âmes.
L’autel, à leur entrée, était vêtu de deuil.
Dans la nef, un tréteau figurait un cercueil  :
Tout ce deuil disparut ; mais les lis du parterre,
Les roses tapissant les murs du presbytère,