Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Temps, qui fait la lyre ou paisible ou guerrière,
Et l’orne de lauriers ou de simple bruyère.
Je suis fils de la Paix. Pour de récens combats
Si cependant mon âme a trouvé des éclats,
Comme nos vétérans, après ces jours de fièvres,
Chanteur, je n’aurai plus que douceur sur les lèvres.

II.

Vingt ans se sont passés  : un de ces écoliers
Que Vannes vit paraître armés sous les halliers
Pour combattre, eux enfans, mais aux cœurs déjà graves,
Celui qui revenait suivi de ses vieux braves ;
Un de ces écoliers, sage prêtre aujourd’hui,
Vit aux bords de la Seine en son pieux réduit.
Le riant presbytère avoisine l’église ;
Un jardin potager à peine les divise ;
Là, regardant un fruit, aspirant une fleur,
Il va, sans être vu, de sa maison au chœur ;
Pour chaque office il passe et repasse sans cesse ;
Là, dans ce doux enclos, il attend la vieillesse.

Mais pourquoi ce matin, aux heures du sommeil.
Dans les bois d’alentour devancer le soleil ?
L’oiseau n’a pas encor gazouillé sous la feuille.
Et lui, tout en marchant, il prie et se recueille ;
Faible et comme entraîné par quelque noir souci,
À ce vingt et un juin il va toujours ainsi…
C’est qu’il voit dans Auray courir sa bande armée.
Les bleus viennent, l’on tire !… À travers la fumée
Un jeune homme, un enfant, au bout de son fusil
Tombe !… Hélas ! de sa main cet enfant périt-il ? —
Le premier jour d’été, quand le monde est en joie,
Voilà de son enclos quel penser le renvoie,
Et comment il revient, tout poigne de remords,
Dire, pour sa victime, une messe des morts.

III.

Dès l’aube, il errait donc ainsi sous la feuillée,
Lorsqu’avec des albums, parmi l’herbe mouillée,
Un peintre voyageur perdu dans son chemin
Arrive, et faisant signe au prêtre de la main,
Demande s’il connaît sous le bois un passage
Vers certaine vallée amour du paysage.