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il accomplira sa mission, comme il se prépare évidemment à le faire, dans des conditions plus larges, plus libérales et cependant plus prudentes, il sera permis de désirer que les Hindoustanys prennent une part de plus en plus considérable à l’administration de leurs affaires, et finissent enfin par se gouverner eux-mêmes ; mais dans cette phase de transition où se trouvent et se trouveront encore pendant un grand nombre d’années tant d’intérêts divers liés à une domination aussi exceptionnelle, aussi nécessaire en même temps au salut de tous que l’est la domination anglaise, il vaut mille fois mieux pour les peuples de l’Inde être gouvernés par l’élite des intelligences de l’extrême Occident européen que de retomber sous le joug d’une aristocratie indigène ignorante, superstitieuse, vaniteuse et égoïste comme par le passé, ou de subir les dangereux essais, les prétentions ambitieuses, les tâtonnemens puérils d’une génération de princes rendus prématurément à l’exercice du pouvoir.

Reconnaissons d’ailleurs que le gouvernement européen, déjà supérieur en principe et dans son ensemble aux gouvernemens indigènes, s’est considérablement amélioré dans les détails de l’administration depuis vingt ans. On en trouve la preuve incontestable dans les mesures que la compagnie a successivement mises en vigueur dans les derniers temps, avec la pensée évidente cette fois d’améliorer la condition matérielle et morale des peuples. Tolérance religieuse, respect des usages et coutumes qui ne blessent pas l’humanité, admission des indigènes, quelle que soit leur croyance, à un grand nombre d’emplois publics, encouragemens et protection active donnés à toute fondation nouvelle ayant pour but la propagation de connaissances utiles, — les perfectionnemens de la culture, de l’industrie, le soulagement de la misère, — tels sont les caractères distinctifs qui donnent à l’époque administrative actuelle une supériorité manifeste sur les époques antérieures. L’administration territoriale proprement dite laisse encore beaucoup à désirer : cependant de grands abus ont été réformés[1] ; mais avant d’examiner

  1. La perception de l’impôt, basée désormais sur une appréciation impartiale des ressources du sol et des moyens d’exploitation, commence enfin à redevenir dans la pratique ce qu’elle a été sous Akhăr et sous Shâh-Djăhân, utile et honorable pour le gouvernement sans être oppressive pour le cultivateur (*). Impôt territorial réglé d’après des opérations cadastrales exécutées (avec une précision inconnue du temps d’Akbăr) pour le plan géométrique des villages par des officiers européens, pour la mesure et l’enregistrement de chaque champ par des arpenteurs indigènes sous la surveillance des officiers européens ; — contestations de limites décidées par le pantchaet (jury indigène) ; — contributions foncières fixées, non plus d’après les tables des produits ou récoltes diverses et de leur prix moyen, nécessairement flottant, mais par comparaison avec les fixations précédentes ou les fixations relatives à des villages ou districts de même étendue et dans les mêmes conditions de culture, en tenant soigneusement compte des circonstances locales et prenant en sérieuse considération les représentations des personnes intéressées, etc. ; — rôle des contributions territoriales arrêté dans un grand nombre de cas pour trente ans (dans une partie de la présidence du Bengale, avec moins de prudence, pour toujours), etc. ; — encouragemens donnés au développement de certaines cultures, parmi lesquelles néanmoins il nous en coûte d’avoir à signaler celle du pavot, dont l’administration financière des Indes anglaises n’a pu parvenir encore à secouer le joug honteux ; — perfectionnement et extension des voies de communication et des travaux publics en général : — tel est l’ensemble des mesures dont l’adoption et l’application plus ou moins judicieuse ont signalé dans ces derniers temps l’administration de la compagnie. Cependant les sages intentions de cette administration ont été fréquemment contrariées et le sont encore en ce moment par les nécessités politiques qui entraînent les gouvernemens les plus circonspects à la guerre et par conséquent à des dépenses improductives, car le temps des conquêtes profitables, déjà passé pour l’Europe, nous paraît bien près de l’être pour l’Asie, et à coup sûr toute conquête nouvelle serait désormais non pas rétrograde, un danger sérieux, si ce n’était un échec irréparable pour la prospérité et la durée de l’empire hindo-britannique.
    (*) Sir G.-R. Clerk, ancien gouverneur de Bombay, interrogé à la chambre des lords, le 25 mai 1852, sur tous les points relatifs à la protection et au développement des ressources agricoles, rendait un éclatant témoignage à la supériorité de l’administration musulmane dans ce qui touche à la perception et à l’accroissement du revenu territorial. — Il n’hésite pas à dire que le gouvernement impérial s’entendait infiniment mieux à protéger les cultivateurs que ne l’a fait jusqu’à présent le gouvernement de la compagnie, qu’il tirait un bien plus grand parti du sol cultivable, et que dans la question vitale de l’irrigation les gouvernemens indigènes ont en général fait plus que l’administration anglaise. — Nous renvoyons le lecteur à l’interrogatoire extrêmement intéressant de sir G.-R. Clerk (pag. 160, 161, 162 et 163), Report from the select committee of the house of lords. Londres, 1852, in-folio.