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mirent en marche vers le nord ; mais à peine avaient-ils pris position à la première halte, qu’ils virent accourir sur leurs derrières une dizaine de chameaux montés, entre lesquels on en distinguait un plus agile et plus richement harnaché que les autres. On le reconnut à l’instant pour celui de Fetoum, et c’était Fetoum en effet, qui venait se joindre à la petite armée. On la salua par des acclamations, car, et peut-être l’avait-elle fait à dessein, elle semblait venir là tout exprès pour tenir plus promptement sa promesse.

On était au mois de mai, tous les ravins avaient de l’eau, tous les sables des herbes ; la saison était favorable ; à la halte du huitième jour, des éclaireurs vinrent annoncer qu’une forte fraction des Chamba, commandée par Ben-Mansour, dirigeait ses troupeaux vers les pâturages de l’Oued-Nessa. Cependant les Chamba, avertis eux-mêmes de l’approche des Touareg, avaient tourné brusquement vers le nord et gagné l’Oued-Mezab ; mais ce mouvement de retraite fut bientôt signalé, et par une marche forcée d’un jour et d’une nuit les Touareg vinrent s’embusquer dans les ravins et les broussailles, à quelques lieues seulement de leurs ennemis, cette fois sans défiance. Ils s’y reposèrent toute la journée, et la nuit venue ils reprirent la plaine au trot allongé de leurs chameaux. À minuit enfin, les aboiemens de leurs chiens trahirent le douar qu’ils cherchaient. Un instant après, au signal donné par Ould-Biska, tous les cavaliers s’élancent en criant le cri de la guerre. De tous les Chamba, cinq ou six seulement s’échappèrent, encore l’un d’eux fut-il atteint par Ould-Biska, qui, d’un coup de sa longue lance, le frappa dans les reins. Emporté par sa jument, le malheureux cavalier, trébuchant, chancelant, accroché à sa selle, fit encore quelques pas ; mais il s’affaissa bientôt sur lui-même et roula sur le sable, entraînant dans sa chute un enfant de sept ou huit ans qu’il avait jusque-là caché sous son bernous.

— Ben-Mansour ! Ben-Mansour ! connais-tu Ben-Mansour ? demanda Ould-Biska.

— C’était mon père, et le voici ! lui répondit l’enfant calme et debout auprès de son cadavre.

Fetoum arrivait au même instant, suivie, entourée, pressée d’un groupe de Touareg.

— C’est moi qui l’ai tué ! lui cria Ould-Biska.

— Et il sera fait selon ma parole, lui répondit Fetoum ; mais prends ton poignard, finis d’ouvrir le corps du maudit, arraches-en le cœur et jette-le aux chiens.

Pendant qu’Ould-Biska, les genoux à terre, courbé sur le cadavre, procédait à l’exécution de cet ordre, Fetoum, les lèvres contractées, tremblantes d’un tremblement nerveux, se repaissait avidement de