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les Orientaux. Là, comme partout, elle est au contraire une des conditions indispensables du pouvoir. Qui tombe dans la pauvreté tombe aussi bien vite dans l’obscurité, et qui arrive à la fortune entre dans la voie des honneurs ; mais pour suivre la carrière de l’ambition, c’est par le bras plutôt que par l’industrie qu’il faut s’enrichir. Quand un guerrier a fait nombre de razzias qui lui ont conquis en même temps de l’argent et de la gloire, on l’appelle Ben Deraou (le fils de son bras), et il peut aspirer aux premières dignités de sa tribu. Ceci nous ramène à cette qualité qui doit être le fond même de l’âme chez un noble, à la bravoure.

« Rien, disait Abd-el-Kader, ne rehausse mieux que le sang l’éclatante blancheur d’un bernous. » Le chef arabe doit, comme nos capitaines d’autrefois, être le plus vaillant de ses hommes d’armes. Il faut qu’aux fêtes de la guerre on le distingue comme aux fantasias. Son influence serait à tout jamais perdue si on pouvait soupçonner son cœur d’une faiblesse, et c’est la réalité, non l’apparence, que les Arabes savent apprécier. Ils admirent une âme fortement trempée, non un extérieur de géant ou d’athlète. C’est ici le cas de combattre le préjugé répandu généralement, qu’une haute stature et la force corporelle produisent sur eux une vive impression. Il n’en est pas ainsi : ils veulent qu’on soit robuste, insensible à la soif, à la faim, apte à supporter les plus rudes fatigues ; mais ils ne font pas grand cas d’une taille élevée, d’une force musculaire semblable à celle de nos hercules de foire ou de nos portefaix. Ce qu’ils estiment, c’est l’agilité, l’adresse et la bravoure ; peu leur importe qu’on soit grand ou petit, et souvent même, en regardant quelque colosse que l’on vante devant eux, on les entend répéter cette exclamation sentencieuse : « Que nous fait la taille et que nous fait la force ? Voyons le cœur : ce n’est peut-être là qu’une peau de lion sur le dos d’une vache ! »

Malgré cette admiration pour le courage, le point d’honneur n’existe pas cependant chez les Arabes comme parmi nous. Pour eux il n’y a aucune lâcheté à se retirer devant le nombre, même à fuir devant un ennemi plus faible que soi, quand on n’a point d’intérêt à vaincre. Les Arabes rient souvent entre eux de nos scrupules chevaleresques. Tout en aimant les courses effrénées des chevaux et le bruyant langage de la poudre, ils veulent que leurs combats aient le plus possible un but de pratique utilité. Pleins d’ardeur quand la fortune les guide, ils se dispersent et disparaissent aussitôt qu’elle les trahit. Aussi, dans leurs jugemens sur la bravoure, maintes différences essentielles existent entre eux et nous. Leur estime pour le courage ne les pousse pas à des excès de sévérité envers ceux à qui manque cette vertu. Jamais un lâche n’obtiendra des dignités dans