Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du gouvernement. Sa fille est avec elle ; on dit qu’elle est jolie. — Jean-Denis va devenir amoureux, fit observer malignement Suzette Guyot. — Amoureux ! répondis-je. Il viendra plutôt des poires sur les pommiers. — Je parlais sincèrement : de l’amour, je ne connaissais que ce que j’avais lu dans quelques vieux livres de mon père, et je pensais qu’il n’était, comme les gants et les chaînes d’or, qu’à l’usage des messieurs. Je n’ai que trop appris, hélas ! qu’il mord aussi bien sous le droguet que sous le drap fin…

Jean-Denis s’arrêta. D’amers souvenirs jetèrent un brouillard pénible sur sa figure. Cela fut court ; au bout d’un instant, il secoua ces chagrines réminiscences ; son œil reprit sa vivacité juvénile, et il continua :

Je ne suis pas venu au monde curieux. Je n’ai jamais compris ceux dont l’œil furète toujours chez les voisins. — Quand arrive-t-il ? Quand se marie-t-elle ? Connait-on son testament ? — Eh ! mêlez-vous de vos affaires ; vous avez assez de chenilles sur vos arbres. — J’avais donc entièrement oublié mes futures voisines. Un jour, le temps se mit à l’orage ; je fus forcé de revenir de la vigne avant le soir. Une voiture charge de meubles était arrêtée devant la maison où je demeurais ; une dame déjà âgée surveillait l’emménagement. Ce ne pouvait être que Mme Roset. J’ôte ma casquette, et je passe. Dans l’escalier, je rencontre une vieille servante, qui monte un guéridon ; la pauvre femme était tout essoufflée. — Attendez, ma brave femme, lui dis-je ; quand le fossou et la pioche s’entendent, le creux est bientôt fait. — Je prends le guéridon d’un côté ; il fut vite au second étage. Dans l’appartement se trouvait une demoiselle de dix-huit à dix-neuf ans, habillée d’une robe d’indienne lilas, la tête nue avec de beaux bandeaux châtains. Sa figure était pleine d’amabilité ; moi, qui ne connaissais que Suzette Guyot et mes cousines, il me sembla que c’était la première femme que je voyais. Elle me salua à peine ; elle crut sans doute que je ne les aidais que pour un salaire. Je fis encore cinq ou six voyages ; la demoiselle arrangeait es meubles à mesure que nous les apportions. Tous ses mouvemens étaient pleins de grâce ; je ne pouvais me lasser de la regarder. Le mobilier n’était pas des plus riches, mais tenu avec beaucoup de soin ; je n’avais encore rien vu d’aussi propre. L’emménagement fini. Mme Roset (c’était bien elle) m’offrit de quoi me rafraîchir ; je refusai. La dame me remercia ; la demoiselle me salua avec affabilité. C’était sou pour liard ; j’étais trop payé de mes peines.

Les jours suivans, j’eus encore occasion de rendre à la famille quelques petits services. J’appris alors que Mlle Roset se nommait Elisa. Au bout de quelques ne pensais pas plus à elle qu’à Nanette, sa vieille bonne. — Halte-là, mon garçon, m’étais-je dit, les