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XVIIe siècles naissait directement de l’antiquité classique. Et cependant cette langue dont on se servait était autre que le latin, et provenait d’un fonds qui n’était ni si vieux que l’idiome romain, ni si jeune que celui de Montaigne et d’Amyot. Le vers même qu’on employait dans la nouvelle poésie n’était ni un hexamètre ni un pentamètre, et s’était formé pour de brillantes destinées dans cette même période, regardée comme incapable de création et d’initiative.

Au XVIIIe siècle, les bénédictins, qui avaient entrepris de grandes et précieuses collections, résolurent de publier une histoire littéraire de la France, œuvre bien considérable, bien longue, bien utile, et qui n’effraya pas l’ardeur patiente de cette savante congrégation ; mais ils avaient trop peu tenu compte du milieu où ils étaient placés : quand onze volumes eurent paru, la froideur générale qui accueillait leur travail les gagna, et ils délaissèrent inachevé l’édifice qu’ils voulaient élever à la gloire de la France. Depuis longtemps ils avaient renoncé à le mener à terme, quand la révolution supprima les ordres monastiques. Dans le siècle suivant, l’Académie des Inscriptions reprit l’héritage abandonné ; déjà aux onze volumes des bénédictins elle en a ajouté onze autres, immense recueil que viendront consulter tous ceux qui s’occupent de notre histoire. En ce long trajet, c’est elle surtout qui a rencontré cette liste innombrable de trouvères, cette masse énorme de poésies, et son vingt-deuxième volume est à peu près rempli de notices sur des poèmes la plupart inédits. À la vérité, celui qui en parle ici et qui compte y puiser les élémens de ce qu’il va dire a contribué, pour sa part, à le composer ; mais, dans une œuvre collective si considérable, qui a été commencée il y a plus de cent ans et dont il ne verra pas la fin, on lui pardonnera une infraction où, ne perdant rien en impartialité, il gagne en connaissance de la matière.

Si l’on prend depuis le commencement cette volumineuse histoire, qui est maintenant parvenue à la fin du XIIIe siècle, on y verra d’abord figurer des Gaulois qui parlent le latin comme si c’était leur langue maternelle et qui comptent mieux dans la littérature romaine que dans la nôtre. Puis ce latin s’affaiblit et s’altère ; les chroniqueurs le manient incorrectement ; il est à peine meilleur parmi les ecclésiastiques et les philosophes, qui s’en servent pour traiter les nouveaux sujets de politique, de philosophie et de religion surgissant dans le monde. Enfin un autre idiome, qui n’est plus du latin, même incorrect, vient prendre dans la série une place qui s’agrandit journellement, et qui finit par occuper toute celle de la vieille langue savante. Ce n’est pas tout : au commencement, l’habitude d’écrire en vers se perpétuant (car, en ces temps de la décadence romaine, on ne peut guère y voir qu’une habitude), les auteurs versifient avec plus ou moins d’élégance ; plus tard, cette versification devient