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il supprima sa seconde lettre et sa préface et retira le plus qu’il put des exemplaires de la première lettre… Si jamais faute a pu être réparée par un repentir sincère, ça été certainement celle-là. J’ai été témoin du regret qu’il en a eu toute sa vie ; il n’en parlait qu’avec une humilité et une confusion capables seules de l’effacer. » Le monument du repentir de Racine est son admirable Histoire de Port-Royal ; mais je n’ai pu résister au plaisir de citer cette anecdote, qui honore Boileau et Racine, et qui fait que nous pouvons avoir avec eux le plaisir exquis pour l’âme d’estimer ce que nous admirons.

Les deux lettres de Racine, que nous n’avons en quelque sorte que malgré lui et contre le vœu de son repentir, ne font guère pour justifier les spectacles. La question est bien mieux traitée dans une lettre de Boileau en 1707. Il y avait eu entre Boileau, Massillon et M. de Montchesnay[1], une conversation sur les bons ou les mauvais effets du théâtre. Massillon, fidèle à la tradition de l’église, proscrivait absolument la comédie[2] ; M. de Montchesnay était de l’avis de Massillon. Boileau défendait le théâtre, mais d’abord il commençait par distinguer soigneusement la comédie des comédiens. « Du reste, vous avancez une maxime qui n’est pas, ce me semble, soutenable, disait-il à ses interlocuteurs (car sa lettre n’est évidemment que le résumé de sa conversation) : c’est à savoir qu’une chose qui peut produire quelquefois de mauvais effets dans des esprits vicieux, quoique non vicieuse d’elle-même, doit être absolument défendue, quoiqu’elle puisse d’ailleurs servir au délassement et à l’instruction des hommes. Si cela est, il ne sera plus permis de peindre dans les églises des vierges Marie, ni des Suzannes, ni des Madeleines agréables de visage, puisqu’il peut fort bien arriver que leur aspect excite la concupiscence d’un esprit corrompu. La vertu convertit tout en bien et le vice tout en mal. Si votre maxime est reçue, il ne faudra plus non-seulement voir représenter ni comédie ni tragédie, mais il n’en faudra plus lire aucune ; il ne faudra plus lire ni Virgile, ni Théocrite, ni Térence, ni Sophocle, ni Homère… Croyez-moi, attaquez nos tragédies et nos comédies, puisqu’elles sont ordinairement fort vicieuses, mais n’attaquez point la tragédie et la comédie en général, puisqu’elles sont

  1. Auteur d’un Bolœana publié en 1743.
  2. « Les spectacles sont-ils des œuvres de Satan ou des œuvres de Jésus-Christ ?… Quoi ! les spectacles tels que nous les voyons aujourd’hui, plus criminels encore par la débauche publique des créatures infortunées qui montent sur le théâtre que par les scènes impures ou passionnées qu’elles débitent, les spectacles seraient les œuvres de Jésus-Christ ! Jésus-Christ animerait une bouche d’où sortent des airs profanes et lascifs ! Jésus-Christ formerait lui-même les sons d’une voix qui corrompt les cœurs ! Jésus-Christ paraîtrait sur les théâtres en la personne d’un acteur ou d’une actrice effrontée, gens infâmes selon les lois des hommes !… Non ! ce sont là des œuvres de Satan ! » (Sermon sur le petit nombre des élus.)