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sévères gardiens des mœurs, et en outre le théâtre se rattachait à la mythologie par tant de liens, qu’en attaquant le théâtre, les pères de l’église attaquaient l’idolâtrie ; mais je ne veux pas résumer leurs argumens, qui se retrouvent dans la controverse du XVIIe et du XVIIIe siècle. Le débat en effet s’est engagé dans ces deux siècles, prenant dans chaque siècle la forme du temps : au XVIIe siècle, il est entre les théologiens ; au XVIIIe entre les philosophes.

Un des confidens, et je dirais volontiers un des employés littéraires du cardinal de Richelieu, l’abbé d’Aubignac, auteur de la Pratique du théâtre, fit par l’ordre de Richelieu un projet de réforme du théâtre. Dans ce projet, il traite des mauvais effets des spectacles et propose les moyens d’y remédier : ces moyens sont curieux à connaître. On y sent le génie impérieux et despotique de Richelieu, qui voulait tout diriger et tout organiser. En fondant l’Académie française, il voulait administrer les lettres ; en faisant faire un plan de réforme pour le théâtre, il voulait administrer les spectacles. L’esprit des lettres est si naturellement libéral, que l’Académie française, que Richelieu avait faite pour l’autorité, a vécu et vit par la liberté. Quant au théâtre, Richelieu mourut avant d’en avoir fait la réforme ; mais l’abbé d’Aubignac nous en a conservé le plan. Richelieu, dans ce projet, commence, soit comme cardinal, soit comme ministre, par relever le théâtre et les acteurs de la censure qui les frappait. « Une déclaration du roi, dit-il, portera d’une part que, les jeux du théâtre n’étant plus un acte de fausse religion et d’idolâtrie comme autrefois, mais seulement un divertissement public, et d’un autre côté, les représentations étant ramenées à l’honnêteté et les comédiens ne vivant plus dans la débauche et avec scandale, sa majesté lève la note d’infamie décernée contre eux par les ordonnances et arrêts[1]. » Cependant, pour que les comédiens méritent la réhabilitation qui leur est accordée, l’abbé d’Aubignac propose plusieurs mesures : « 1o qu’il soit interdit aux filles de monter sur le théâtre, si elles n’ont leur père ou leur mère dans la compagnie ; 2o que les veuves soient obligées de se remarier six mois après l’accomplissement de leur année de deuil, et qu’elles ne jouent pas pendant leur année de deuil ; 3o sa majesté établira une personne de probité et de capacité comme directeur, intendant ou grand-maître des théâtres et des jeux publics en France, qui aura soin que le théâtre se maintienne en l’honnêteté, qui veillera sur les actions des comédiens et qui en rendra compte au roi pour y donner l’ordre nécessaire. »

Ce grand-maître des théâtres (et je ne voudrais pas répondre que

  1. Projet du théâtre, à la suite de la Pratique, par l’abbé d’Aubignac, t. 1er , p. 354.