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et frivole curiosité qui fut un moment la complice de leur triomphe éphémère Voilà comment cette inspiration superbe s’est rapidement épuisée ; elle était corruptrice et irritante, elle n’était nullement amusante, et c’est ainsi que l’art fait expier leur succès à ceux qui le cherchent en dehors de ses pures et sévères conditions. Maintenant le roman, tel qu’on l’a vu il y a dix ans, n’existe plus : s’il est quelqu’un de ces récits interminables qui se poursuive dans un lieu quelconque, nul ne s’en occupe, on le lit encore moins. C’est le conte qui règne, c’est l’histoire rapide contenue en quelques pages, resserrant le récit, l’observation, la peinture du caractère et des mœurs. Seulement il est des esprits qui imaginent peut-être qu’il est plus facile d’écrire un conte qu’un roman, en quoi ils tombent dans une erreur singulière. Les conditions sont au fond les mêmes.

Ce n’est point le nombre des pages qui décide de la finesse de l’observation, de la justesse des peintures, de la vérité des caractères, de l’originalité de l’inspiration, et c’est tout cela qui peut donner un relief saisissant au conte le plus rapide aussi bien qu’à un roman : le titre seul change, l’art est le même. Quel est le principal caractère de la plupart de ces contes qui se succèdent aujourd’hui ? Il y a le plus souvent une rebelle facilité de récit, parfois un esprit brillant, une apparence de distinction. Malheureusement l’invention manque, l’observation est remplacée par une analyse subtile et sans profondeur, le style est quelquefois plus prétentieux qu’original. M. Alexandre Dumas fils est un des héros du conte actuel, ou plutôt de ce roman diminué qui règne aujourd’hui. À ses histoires précédentes il vient de joindre, sous le titre d’Antoine, l’histoire d’une jeune fille qui se prend d’amour, un peu au hasard, pour un jeune homme phthisique, — qui l’épouse, qui le sauve à force de soins, et finit par en être délaissée. On ne saurait disconvenir qu’il n’y ait une certaine originalité dans le monde que peint habituellement M. Alexandre Dumas fils. N’y a-t-il point encore dans Antoine une mère, — une mère même d’un certain rang social, — qui est toute prête à servir les amours de son fils et qui s’inquiète de ses maîtresses ? C’est là certes une facilité tout aristocratique et qui s’accorde merveilleusement avec la tendresse maternelle ! ne savons seulement ce que l’art peut avoir à faire avec toutes ces peintures.

Au milieu de ses hasards et de ses diversions cependant, cette vie littéraire, qui voit grandir si peu d’intelligences généreuses et bien inspirées, vient de perdre un homme de probité et de talent, un conteur sérieux : c’est M. Émile Souvestre, mort jeune encore. L’auteur des Derniers Bretons suivait honnêtement et laborieusement la route qu’il s’était tracée ; écrivain convaincu, il n’aimait pas le bruit et ne cherchait point les vaines complaisances. Combien est-il donc de ces esprits qui se tiennent à l’écart et se font honneur à eux-mêmes par leurs œuvres ? Récemment encore M. Émile Souvestre était appelé en Suisse, dans un pays où ses romans jouissent d’une grande popularité, où ils sont lus le soir en famille. Il allait faire un cours sur la littérature. Les résultats de ce cours, il les a réunis dans un recueil qui a pour titre : Causeries littéraires et historiques ; ce sont des leçons sur Homère, sur Dante, sur Shakspeare, sur toutes les poésies. Ce n’est point là sans doute une critique profonde, ouvrant des aperçus puissans et neufs ; c’est une suite de cau-