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événemens ? quelle lumière s’en dégage pour le Piémont et pour l’Italie ? sous quel jour définitif apparaît Charles-Albert ? Charles-Albert reste assurément une des plus saisissantes figures de l’Italie contemporaine. Il n’a point cet éclat fascinateur des hommes heureux dans leurs desseins, qui portent leur pensée en quelque sorte sur le front et trouvent dans le succès la dernière auréole de leur vie. Ardeur concentrée et impassibilité extérieure, intrépidité du cœur et incertitude du conseil, lutte permanente du désir immortel et de toutes les difficultés, de tous les obstacles accumulés, tel est l’homme, tel il apparaît à chaque époque, à mesure qu’il semble approcher du but pour le voir s’évanouir tout à coup. De tous les Italiens de ce siècle, c’est celui dont l’âme battit le plus fortement et le plus exclusivement pour l’indépendance. Toute sa vie, il en nourrit la pensée ; elle est le secret de sa politique et de ses actes ; c’est pour elle et par elle qu’il est mort dans l’exil. Il n’était pas plus un puissant politique qu’un chef militaire supérieur ; c’était un homme d’instinct et un soldat qui joignait au courage une sorte de foi mystérieuse. On a beaucoup parlé de croisade à l’occasion de la guerre de 1848 ; le roi piémontais fut peut-être le seul véritable croisé de cette époque. Sans doute l’idée de l’indépendance avait un caractère propre chez le souverain sarde ; elle se confondait avec l’agrandissement du Piémont et la fortune de la maison de Savoie ; elle se présentait à son esprit sous la forme nécessaire du royaume de la Haute-Italie : tout ce qu’on peut dire, c’est que, s’il y avait ambition, cette ambition tendait à la seule réalisation possible de l’indépendance italienne.

Par son caractère, Charles-Albert n’est point sans quelques traits de ressemblance avec un autre prince contemporain, le roi actuel de Prusse. Tous deux en effet n’ont-ils pas eu les mêmes velléités, les mêmes irrésolutions, les mêmes instincts des destinées de leur pays ? Seulement, là où Frédéric-Guillaume hésita dans les dernières révolutions, au moment de se jeter dans la lutte pour se saisir de ce qu’on nomme l’hégémonie prussienne on Allemagne, Charles-Albert céda à l’irrésistible impulsion qui l’entraînait à la guerre pour conquérir l’hégémonie piémontaise en Italie. C’est certainement un des spectacles contemporains les plus frappans de voir l’Autriche, également servie par les irrésolutions du roi prussien et les entraînemens du souverain piémontais, sortir de cet orage plus forte et relevée dans sa fortune. Le raffermissement de la domination autrichienne au-delà des Alpes, voilà ce qu’ont produit les révolutions italiennes, et les révolutionnaires en ont rejeté la faute sur Charles-Albert après l’avoir environné de toutes les impossibilités, après l’avoir assiégé à Milan et abreuvé de toutes ces amertumes qui faisaient dire à un de