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des intérêts, la netteté des situations ? L’Allemagne est dans l’expectative armée la plus onéreuse, sans qu’il en résulte rien ni pour la paix, ni pour la guerre ; l’Angleterre et la France ont sans nul doute le droit de connaître ce qu’elles doivent attendre. La Russie est la seule puissance intéressée à ces atermoiemens successifs et prolongés ; elle en tire un double avantage, en ce qu’elle peut se flatter d’en profiter pour refroidir les alliances, pour créer des élémens de discorde en Europe par des propositions insidieuses, et surtout parce qu’elle gagne du temps en immobilisant une partie des forces occidentales, en ajournant des opérations plus sérieuses combinées pour la resserrer victorieusement dans ses limites ; voilà pourquoi ce qui est peut-être dans les désirs secrets de la Russie ne saurait être dans les désirs de l’Europe, voilà pourquoi tout se réunit pour imposer à l’Allemagne le devoir d’une résolution prompte et nette. L’Autriche et la Prusse ont sans doute une grave responsabilité à prendre, comme il arrive toujours lorsqu’on rompt la paix ; mais les lenteurs et les ajournemens à l’instant le plus décisif impliqueraient aussi une responsabilité qu’elles prendraient vis-à-vis du continent, vis-à-vis de cette politique de préservation européenne à laquelle elles ont adhéré dès le premier jour.

Le fait qui a donné heu à ces incertitudes prolongées sur les véritables dispositions de l’Allemagne, on le connaît déjà : c’est la réponse de l’empereur Nicolas aux dernières notes de l’Autriche et de la Prusse. Il faut se souvenir de la position prise depuis quelques mois par les puissances allemandes à côté des puissances maritimes dans la question d’Orient. La France et l’Angleterre ont vu dès l’origine ce qu’elles avaient à faire, et ce qu’elles avaient à faire, elles l’ont fait résolument, elles le font encore. L’Autriche et la Prusse ont attendu davantage ; elles ont tenu par-dessus tout à conserver l’indépendance de leur politique en poursuivant le même but. Elles se sont nées entre elles par la convention particulière du 20 avril, qu’un protocole de la conférence de Vienne rattachait à la convention anglo-française. Sûre désormais de l’alliance de la Prusse, l’Autriche ne se bornait pas là : elle négociait avec la Turquie un traité qui l’autorisait à occuper éventuellement les principautés, et elle faisait avancer son armée vers les frontières de la Valachie. Tandis que ces actes s’accomplissaient, les deux puissances allemandes, en vertu de leur convention du 20 avril, adressaient simultanément une note au cabinet de Saint-Pétersbourg, en l’accompagnant d’une communication personnelle des deux souverains à l’empereur Nicolas. Or quel était le sens de cette note, aussi bien que des communications qui l’accompagnaient ? Ce n’était point certainement une intimation hautaine. Le cabinet de Vienne cependant réclamait nettement de la Russie l’évacuation des principautés du Danube ; il demandait que le cabinet de Saint-Pétersbourg ne fît point dépendre cette retraite de conditions étrangères à l’Autriche et qu’il ne serait pas en son pouvoir de remplir. C’était dire que le gouvernement autrichien repoussait d’avance toute objection fondée sur la présence des armées de l’Angleterre et de la France en Orient. L’évacuation des principautés une fois accomplie purement et simplement par la Russie, les puissances allemandes se seraient interposées pour que toutes les questions qui se rattachent aux affaires d’Orient fussent remises à la décision d’un congrès européen. Jusque-là donc, on le voit, si les deux gouvernemens de l’Allemagne marchaient d’un pas plus lent