Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Europe, et défier les mesures coërcitives des puissances alliées de la porte. Cette idée eût certainement pré, valu, si l’intervention de la France et de l’Angleterre n’eût pas déjoué à temps ces coupables menées[1].

Mais ce n’était pas au-delà des frontières que le mouvement avait produit ses plus dangereuses conséquences. Il avait livré l’intérieur de la Grèce à une véritable anarchie. Le brigandage avait reparu plus redoutable que jamais. Des bandes qui parcouraient le pays sous prétexte d’aller combattre les Turcs levaient sur leur passage des contributions forcées et menaçaient les villes du pillage. Le parti russe, comme toutes les causes violentes quand elles se voient perdues, en vint enfin à organiser à Athènes, contre les Grecs qui commençaient à blâmer hautement la politique insensée du gouvernement, un système de terreur. Des listes de proscription étaient, disait-on, dressées en secret. Plusieurs partisans de la France et de l’Angleterre, l’avocat de la légation française entre autres, des étrangers furent insultés et battus dans les rues sous les yeux de la police, qui laissait faire. Les fanatiques n’employaient encore contre leurs adversaires que le bâton ; mais des brutalités au meurtre il n’y avait qu’un pas. Dans l’Archipel, les mêmes causes qui avaient ravivé le brigandage sur le continent réveillèrent la piraterie. La population des îles, qui compte les matelots par milliers, était réduite à la misère par la rupture qui avait arrêté tout commerce entre la Turquie et la Grèce. La faim y recrutait des pirates. Devant un état de choses si grave, la patience n’était plus permise aux gouvernemens de France et d’Angleterre. Ils ne pouvaient pas plus longtemps laisser le peuple grec dans l’erreur où l’entretenait déloyalement son gouvernement en les représentant comme favorables au travail insurrectionnel. Il ne s’agissait plus seulement pour eux de venir au secours de la Turquie et de la délivrer d’un ennemi qui occupait une portion de ses forces, dont la présence était si nécessaire ailleurs ; c’était la vie de leurs sujets qu’il fallait protéger, la sécurité de la mer qu’il fallait rétablir, la Grèce et le trône même du roi Othon qu’il fallait sauver d’une anarchie dont rien n’eût arrêté les excès. M. Drouyn de Lhuys appela, le 1er mai, l’attention du gouvernement anglais sur cette situation et sur les remèdes qu’elle réclamait. Il proposa de faire occuper Athènes et le Pirée par un petit corps expéditionnaire. On mettrait ainsi à l’épreuve la sincérité du roi Othon et de sa cour. Si en effet le roi n’avait pas d’intentions hostiles contre la Turquie, s’il n’était que débordé par un mouvement national et religieux, il trouverait dans les troupes françaises une force de résistance contre la pression qui

  1. M. Wyse to the earl of Clarenton, Corresp., no 229.