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fatale de la Grèce, et conjura le roi Othon de s’arrêter. Au langage officiel de leurs ministres, quelques souverains ajoutèrent des lettres autographes adressées au roi Othon. L’empereur des Français lui écrivit des premiers sur le ton le plus amical et le plus persuasif. La lettre de l’empereur fut remise au roi le 9 mars, quelques jours après l’entretien que nous avons rapporté. L’audience de M. Rouen commença à neuf heures du soir : il était deux heures quand notre ministre sortit du palais. La reine était présente. Le roi Othon n’ouvrit point devant M. Rouen la lettre de l’empereur ; mais dans cet entretien de cinq heures, le roi et la reine s’efforcèrent de justifier leur politique, et ne laissèrent que trop voir combien leur esprit et leur cœur étaient éloignés de la neutralité que leur demandait l’Europe, et qu’ils prétendaient n’avoir point violée. Nous ne croyons pas qu’il y ait pour la diplomatie un plus douloureux devoir et une plus cruelle épreuve que d’avoir à opposer ainsi le langage froid et positif de la raison aux sentimens passionnés des personnes royales. La fierté d’un souverain aigrie par le sentiment de sa faiblesse, un roi ému qui se trompe consciencieusement dans l’appréciation de son rôle, qui se raidit contre d’irrésistibles nécessités sous l’impulsion d’une erreur qu’il croit généreuse, et plaide lui-même sa cause avec une irritation inaccoutumée ; une reine belle, éloquente, passionnée, qui intervient dans une pareille controverse et encourage son auguste époux par des applaudissemens enthousiastes et par les plus touchans témoignages de son affection ; un diplomate obligé de vaincre en lui-même la sympathie et de dominer le respect pour opposer à des illusions obstinées de sévères et inévitables perspectives : on devine les mouvemens d’une pareille scène, et l’on en comprend l’émouvante mélancolie.

Le roi avait pris son parti. Sa mission, disait-il, était de défendre par tous les moyens la race grecque contre l’oppression musulmane. Il connaissait sa faiblesse, mais Dieu était avec lui et ne l’abandonnerait pas dans une cause juste. Il y eut un moment où M. Rouen mit en doute le caractère national du mouvement et en attribua l’origine ou l’extension à la cour ; le roi et la reine se levèrent les larmes aux yeux. « Quoi ! s’écria le roi, ce n’est pas un mouvement national ! Ce langage ne prouve qu’une chose, c’est que vous ne nous comprenez pas et que vous ne comprenez pas la Grèce. » En quittant le palais après ces longues heures orageuses, M. Rouen, bien que le roi eût promis « de réfléchir mûrement» aux conseils de la France, ne pouvait plus espérer de voir la cour d’Athènes s’arrêter sur cette fatale pente[1].

Tous les avis en effet restèrent inutiles. Il serait fastidieux d’énumérer les faits qui vinrent démontrer chaque jour davantage la

  1. M. Wyse to the earl of Clarendon. Corresp., no 107, 122.