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que moi ; elle n’en a point eu qui l’ait autant aimée. Pour la rendre libre, indépendante et grande, j’ai accompli avec joie tous les sacrifices ; mais ces sacrifices ont une limite qui ne se peut franchir, c’est quand ils ne s’accordent plus avec l’honneur. J’ai vu arriver le moment où j’aurais dû accéder à des choses auxquelles mon esprit répugnait profondément ; j’enviai le sort de Perrone et de Passalacqua[1], je cherchai la, mort et ne la trouvai pas. Alors je connus qu’il n’y avait pas d’autre parti pour moi que de renoncer à la couronne. La Providence n’a pas permis que la régénération de l’Italie s’accomplisse aujourd’hui ; j’espère qu’elle ne sera que différée, et qu’une adversité passagère avertira seulement les peuples italiens d’être une autre fois plus unis, afin d’être invincibles. »

Mais Charles-Albert portait en lui-même la secrète blessure des vaincus. Les anxiétés morales, le poids de la défaite, les fatigues de la guerre avaient redoublé un mal qui datait de loin et qui s’était rapidement aggravé. « Si je venais à mourir maintenant, disait-il, je serais heureux du moins ; je mourrais en temps opportun. » Quand Charles-Albert parlait ainsi, il n’avait plus que quelques jours de vie : le 28 juillet 1849, il s’éteignait à Oporto, et peu après ses restes étaient ramenés à Turin, honorés comme les reliques d’un héros ; le roi piémontais allait reposer dans la basilique de Superga. Tandis que Charles-Albert mourait ainsi à Oporto, quelles étaient pour le Piémont les conséquences de la bataille de Novare ? Le parti démocratique s’agitait encore et criait une fois de plus à la trahison ; Gênes s’insurgeait et ne cédait qu’au pouvoir des armes ; le général La Marmora était obligé d’emporter d’assaut la seconde ville du royaume. La chambre des députés de Turin, cette triste chambre qui avait poussé à la guerre immédiate, refusait après la défaite au nouveau roi la possibilité de faire la paix, par ses déclamations et ses votes systématiques. Victor-Emmanuel était réduit à la dissoudre pour faire sanctionner par un autre parlement la paix définitive signée avec l’Autriche le 6 août 1849. — Charles-Albert enfermé à Superga, la paix signée entre l’Autriche et le Piémont, la république de M. Mazzini chassée de Rome au même instant par l’armée française, la guerre de l’indépendance et les révolutions italiennes n’étaient plus que de l’histoire.


Qu’on ressaisisse maintenant les traits les plus caractéristiques de cette histoire où sont si intimement mêlées les destinées d’un petit peuple et d’un homme, confondues elles-mêmes dans le puissant mouvement de toute une race. Quelle est la moralité de ces

  1. Le général de Perron et le général Passalacqua, tués à Novare.