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elle. La Russie trouvait dans les affaires religieuses l’occasion fréquente d’entretenir au sein du peuple son influence et ne la négligeait jamais. C’est ainsi qu’en 1850, lorsque fut réglée par l’habile intervention de la politique russe une des affaires que les Grecs avaient le plus à cœur, la reconnaissance par le patriarche de Constantinople de l’indépendance de l’église hellène, la gratitude pour la Russie fut universelle. De tous les points de la Grèce, des prêtres, des hommes connus pour leur dévouement aux idées orthodoxes accouraient chaque jour à Athènes pour porter au ministre russe l’expression de leur reconnaissance envers l’empereur Nicolas. On peut donc caractériser d’un mot l’action diplomatique de chacune des trois puissances protectrices vis-à-vis de la Grèce : l’Angleterre humiliait la Grèce, la France la gâtait, la Russie se conciliait ses sentimens les plus intimes. Par ses tracasseries malveillantes, l’Angleterre aggravait, au lieu de les corriger, les désordres et les vices du gouvernement grec ; par son indulgence systématique, la France les encourageait ; par sa circonspection et son apparente impartialité, la Russie s’apprêtait à les exploiter un jour à son profit.

Il existait cependant depuis longtemps en Grèce un mouvement qui aurait dû avertir l’Angleterre et la France qu’elles faisaient fausse route. La seule idée générale qui ait occupé l’imagination et excité les espérances passionnées du peuple hellène depuis l’indépendance est la pensée de reculer les frontières de la Grèce actuelle, d’annexer au nouveau royaume les provinces voisines de l’empire turc, de relever la croix, au profit de la Grèce, sur les minarets de Sainte-Sophie, de reconstituer le panhellénisme et l’empire de Byzance. La religion était naturellement le premier mobile et la consécration de ces rêves ambitieux. Pour les Grecs comme pour les Russes, la religion orthodoxe est plutôt un lien national que l’expression d’une foi bien vive. Respectée comme forme, obéie jusqu’à la minutie dans toutes ses prescriptions extérieures, aimée comme la cause principale de la perpétuité de la race hellénique sous la domination ottomane, elle est encore pour les Grecs l’espérance et l’instrument de leur agrandissement futur. Cette aspiration où la politique et la religion viennent se confondre est ce que les Grecs nomment la grande idée. Sans approuver les manifestations intempestives de cette tendance, on peut bien reconnaître qu’elle était naturelle chez un peuple ébloui des gloires que rappelle son nom, mécontent et humilié de sa condition présente, uni par le sang et la religion à des populations encore soumises à la domination étrangère qu’il a lui-même secouée. Au dehors et au dedans, les Grecs sont entraînés vers la grande idée, au dehors par leurs coreligionnaires, qui soupirent après l’indépendance, au dedans par ces hétérochthones mêlés aux