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d’en retirer. Or la Grèce est un pays pauvre, et les Hellènes, à de rares exceptions près, sont dans la situation morale de gens qui veulent faire fortune à tout prix. Ils n’ont pas d’esprit public ; ils ne s’élèvent pas à ces considérations d’intérêt général et à ces vues d’avenir qui rendent si noble et si utile l’émulation des partis dans les pays libres ; il leur est si peu possible de classer leurs opinions d’après des doctrines générales et des intérêts nationaux, que pour colorée leurs divisions Ils ont emprunté aux états qui les protègent les dénominations étrangères de parti français, parti anglais et parti russe, et même ces divisions arbitraires s’effacent toujours dès que les intérêts particuliers sont en présence. Les affaires de la commune, les intrigues et les influences locales, la rivalité d’un primat contre tel autre primat, voilà le fond de la politique dans les provinces de la Grèce. Aussi le suffrage universel a-t-il consacré dans les élections la prédominance des influences locales. Il a rendu aux familles anciennes, aux propriétaires, aux derniers soldats de la lutte de l’indépendance, une force contre laquelle devaient échouer les lumières et les aspirations intelligentes des hommes qui se sont initiés à la civilisation occidentale. Les sympathies et les votes populaires se sont plus volontiers dirigés sur les autochthones que sur les hétérochthones, sur les Grecs en fustanelle que sur les Grecs en habit, sur ceux qui offraient de servir les intérêts particuliers de leurs électeurs que sur les hommes qui auraient eu la prétention de s’occuper des intérêts généraux du pays. Livrées à de pareils appétits, les élections ont perdu toute sincérité et toute dignité : votes multipliés, urnes à double fond, bulletins falsifiés, les compétiteurs n’ont reculé devant aucune fraude ; quand à fraude était insuffisante, on a recouru à la force, et plus d’un scrutin a été emporté à coups de fusil.

Au lieu de lutter contre cette déplorable corruption du régime représentatif, le gouvernement s’y est associé pour l’exploiter à son profit. Du moment où il intervenait dans les élections, l’influence du gouvernement, n’ayant en face d’elle que des cupidités particulières, devait devenir prépondérante, et aggraver le mal au lieu de le guérir. Le pouvoir parlementaire se divise en deux chambres, le sénat et la chambre des députés. Le sénat, composé de membres à vie nommés par le roi, a été peuplé d’hommes qui ont occupé des emplois ou ont acquis une illustration quelconque dans la guerre de l’indépendance, c’est-à-dire d’hommes qui ont la continuation et la représentation vivante des influences irrégulières et des divisions de cette époque de crise. Ce n’est pas tout. Les chefs de parti qui sont passés tour à tour au pouvoir ont rempli le sénat de leurs adhérens, et en ont fait par conséquent pour tous les ministères un embarras que l’on ne peut tourner qu’au moyen de compromis particuliers. Le