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national ! Hélas ! elle n’est point rare dans l’histoire, et même sur ce petit théâtre de la Grèce elle est curieuse autant que triste à étudier.

La liberté et l’égalité sont deux conditions de nature chez la race hellénique. La domination turque ne s’est fait sentir à la Grèce que par cette suprématie de race qui blesse la fierté d’un peuple sans attaquer son existence, et quelques abus accidentels de la force ; mais elle n’a jamais été un de ces despotismes systématiques et absorbans qui brisent les ressorts d’une nationalité. Les Grecs, du temps des Turcs, ont toujours vécu de leur vie propre, s’administrant eux-mêmes dans leurs communes. Cette pratique séculaire du système municipal garantissait chaque portion du territoire contre les empiétemens du pouvoir central. Elle a fait passer la liberté dans le sang des Grecs. Il en est de même de l’égalité : les intérêts et les mœurs l’ont enracinée chez les Hellènes. Parmi eux, la propriété a toujours été très divisée et accessible à tout le monde. La diversité des conditions, les différences de fortune, la supériorité des fonctions, n’ont jamais entamé en Grèce le sentiment de l’égalité. Le simple paysan appelle αδελφε, frère, non-seulement son camarade, mais l’homme riche ou le haut fonctionnaire, lequel lui rend le même titre. Les Grecs étaient donc façonnés, par leur esprit d’égalité et leurs vieilles institutions municipales, à l’organisme des constitutions libres, à la délégation du pouvoir, à la forme représentative. Chez eux, les fonctions et mêmes certaines dignités ecclésiastiques se conféraient à l’élection, et dérivaient la plupart du suffrage universel. Un pareil esprit, de pareilles traditions, déterminent le tempérament d’un peuple, et le disposent à des formes politiques qu’aucune loi artificielle ne peut changer. Aussi chercherait-on vainement dans toute la Grèce l’ombre d’un parti absolutiste, et le pouvoir royal sans contrôle, impatiemment subi comme transition provisoire, a-t-il échoué sans retour contre mille impossibilités. La constitution de 1843 n’a donc fait, on le voit, que s’appliquer à des habitudes anciennes qu’elle semblait devoir régulariser et féconder pour la prospérité de la Grèce ; mais elle a malheureusement trompé jusqu’à ce jour les prévisions du petit nombre de Grecs, élevés dans les écoles de l’Occident, qui l’avaient le plus chaudement appelée de leurs vœux, et à qui elle avait inspiré les plus brillantes espérances.

Les principales causes de cet avortement sont l’absence presque complète de probité politique chez les Grecs, leur esprit de division, et les tendances aveugles et routinières du suffrage universel. Les Grecs ne se sont point préoccupés de la moralité du gouvernement représentatif, ils ne lui ont pas demandé des garanties pour les intérêts généraux de leur pays ; ils en ont fait ce qu’ils font de toute chose, chacun n’y a vu que les avantages particuliers qu’il lui était possible