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tachant bien qu’il n’y trouvera pas du baume pour sa plaie ; mais Il semble qu’une force mystérieuse le pousse à savourer sa souffrance. Pour chasser son angoisse, il chante, il évoque certains aspects préférés, et chacune de ces visions, éclairée d’abord par le plus doux soleil, s’achève dans la tempête ou dans les ténèbres. Le souvenir du passé vient jeter son voile funèbre sur les plus frais tableaux. Aux bords du Rhin, il a beau saluer d’un regard ami le beau fleuve éclairé par le soleil couchant ; ce qui l’attire, ce qui l’absorbe bientôt, c’est la pensée de Loreley, de la vierge perfide dont les chants magiques égarent et perdent les mariniers. Sur l’esplanade d’une petite ville allemande, au milieu du calme d’une radieuse matinée de printemps, son attention ne s’arrête ni sur la foule joyeuse, ni sur les filleuls reverdis, ni sur la campagne souriante. Il voit un soldat jouer avec son fusil, et un vœu sinistre éclate au milieu des parfums et des clartés de mai. La forêt n’a pour lui que des voix plaintives ; la cabane du forestier ne lui offre que des scènes lugubres.

Peu à peu cependant à ces premières impressions du Retour succèdent des images plus nettes du passé. Les premiers Lieder, si mornes et si désolés, sont suivis de quelques chants qu’anime l’extase amoureuse des anciens jours. Le poète nous transporte sur les grèves de la Mer du Nord. Nous allons parcourir avec lui tous les lieux consacrés par le souvenir de la femme aimée. Il la voit tantôt au milieu des brouillards et de la tempête, tantôt dans les dernières splendeurs du crépuscule devant la maison du pêcheur, que fouettent les vagues furieuses, moins agitées que son cœur. Le poétique voyage se continue, et nous pénétrons dans la vieille cité que la bien-aimée n’habite plus. On suit les chemins d’autrefois ; on s’arrête devant la maison bien connue. Une nouvelle suite de visions se déroule, qui a pour cadre cette fois, — au lieu des bords du Rhin et des grèves de la mer, — l’enceinte de la petite ville avec ses rues paisibles et ses intérieurs bourgeois. Sous l’impression de ces calmes aspects, le poète est ramené jusqu’aux rêves de son enfance ; mais tout à coup les premières émotions de l’amour se réveillent, et avec elles ses premières douleurs. Toute la crise du désespoir et de la séparation est racontée avec une sauvage colère, au milieu de laquelle intervient parfois l’ironie, mêlant aux amères paroles des éclats de rire et des accens bouffons. C’est un curieux spectacle que celui de l’horizon du poète s’élargissent en quelque sorte peu à peu sous l’action d’une puissante fantaisie qui prend insensiblement la place de la passion. Ici c’est le rêveur allemand qui se transforme en étudiant espagnol, raillant et chantant tour à tour les belles dames de Salamanque ; là c’est l’étudiant allemand qui reparaît, et qui étale en pleine université de Halle son pétulant scepticisme. À ce moment, le rêve touche à sa fin. on sent que le poète a pris la place de l’amant. Les flammes magiques qui embrasaient son cœur se sont éteintes, comme il le dit lui-même, et ses strophes sont l’urne où vont reposer les cendres de sa passion.

On connaît maintenant le lien de ces chansons réunies sous le titre commun de Retour. Les bords du Rhin, les grèves de la Mer du Nord, les rues solitaires d’une petite ville, tel est en quelque sorte le cadre matériel du poème. C’est un voyage qui se commence dans les larmes et te termine avec