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sont un exemple de ce mélange habile qui a fait la fortune du Livre des Chants.

Indépendamment de l’intérêt littéraire qui s’attache en Allemagne à l’ensemble de pièces intitulé le Retour, ce groupe de chansons tendres ou railleuses a encore pour la France un intérêt particulier. Le même cycle lyrique qui a été pour le public allemand une hardie protestation contre les subtilités du romantisme devient pour nous un chapitre curieux de l’histoire intime du poète. Au moment où l’auteur de l’Allemagne se retourne vers son passé pour l’expliquer et le raconter, au moment où il termine ces Confessions qui nous initieront aux premières phases de sa vie littéraire, — il y a quelques aspects de cette vie que l’on connaîtrait mal, si on ne pouvait, à côté des troubles de l’esprit, interroger les émotions du cœur, si on ne parvenait à lire dans l’âme de l’homme comme dans celle de l’écrivain. Que de pages de l’humoriste dont il faut chercher le secret dans les chants du poète ! C’est quelques-unes de ces révélations que nous donnent les strophes du Retour. L’influence de la nature du Nord sur l’âme de celui qui analysera plus tard avec une si rare finesse les origines de l’art germanique est accusée très vivement dans la plupart de ces charmans Lieder. Le lien qui unit le doute dans l’amour au doute intellectuel, la plainte du cœur aux révoltes de l’esprit, n’est-il pas aussi singulièrement visible pour quiconque les lit avec attention ? — Le Retour, qui est pour l’Allemagne une tentative lyrique des plus curieuses, prend ainsi un intérêt plus général et peut être interrogé comme un recueil d’aveux sincères sur le mystérieux rôle que jouent parfois les souffrances intimes dans une destinée poétique.

Le premier amour, les souvenirs gracieux et amers qu’il a laissés, — tel est le seul lien de ces chants, tel est le vrai sujet du poème. Il n’y a ici que deux personnages, l’amant qui se souvient et la femme qui a oublié. Évoqués par le Lied, les tableaux du passé reparaissent dans un étrange désordre ; les paysages aimés dessinent de nouveau leurs perspectives charmantes. Tout ce monde où les suprêmes joies et les suprêmes douleurs se sont révélées renaît à la lumière et déroule devant nos yeux ses splendeurs matinales. Suivons un moment le rêveur dans son voyage au pays où il a vécu, où il a passé de douces heures et des heures empoisonnées. Obéissant à son caprice, M. Heine intitule un de ses plus ravissans poèmes  : Songe d’une Nuit d’été. C’est encore d’un songe qu’il s’agit ici, ou, si l’on veut, d’un pendant printanier à ce bizarre tableau de l’Allemagne intitulé Conte d’hiver, où M. Heine a raconté aussi les impressions d’un voyage au pays natal, mais en railleur inexorable cette fois, décidé à n’écouter que son ironie. Dans le Conte d’hiver, la satire domine ; la réalité se dessine en traits d’une netteté saisissante. Dans le Retour, c’est la passion qui règne, et les larmes sont toujours près du rire ; la réalité se confond avec le songe, ou plutôt s’efface devant lui. Mais d’abord quels sont ces fantômes ? que signifie cette suite de visions ? quel en est l’enchaînement ? — Ce sont là des questions que le lecteur français pourra se faire, et auxquelles il faut peut-être essayer de répondre.

Les premières pièces du cycle intitulé le Retour traduisent les impressions de tristesse poignante dont ne peut se défendre le poète ramené dans le pays où s’est passée une partie de sa jeunesse. Il y va le cœur gonflé de larmes et