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représentans de toutes les parties de l’Italie, il cédait aux avances des clubs piémontais, il se plaçait au centre de toutes les oppositions, en sorte que le jour où le cabinet Revel-Pinelli se vit décidément impuissant à gouverner, au mois de décembre 1848, Gioberti se trouva l’homme désigné au pouvoir par le parti démocratique, dont il avait assuré le succès sans partager au fond ses tendances. Il fut, sans le vouloir peut-être, le chef d’un ministère démocratique où entraient MM. Ratazzi, Sineo, Cadorna, Buffa, Tecchio, les hommes qui avaient fait la guerre la plus vive à la politique conservatrice.

Voilà donc Gioberti premier ministre, maître à son tour de décider de la direction des affaires italiennes et arrivant au pouvoir dans les conditions les plus critiques. Les circonstances sont pressantes, l’Italie centrale route de plus en plus sur la pente d’une anarchie sanglante ou puérile ; entre le pape retiré à Gaëte et la révolution qui reste à Rome, un meurtre a creusé un abîme. Entre le grand-duc de Toscane et les agitateurs de Florence, même incompatibilité, qui éclate bientôt par la fuite du prince. Le mouvement constitutionnel disparaît, c’est le principe républicain qui triomphe, partout règne la confusion ! Que va faire Gioberti ? Chef d’un ministère démocratique, il eut alors une idée, qui était celle d’un homme d’état, qui pouvait relever la fortune du Piémont, mais qui était certes la contradiction la plus éclatante du mouvement d’opinion par lequel il avait été porté au pouvoir, et que ses collègues représentaient bien plus que lui. Gioberti vit distinctement que le premier ennemi à vaincre n’était point l’Autriche, qu’il y avait l’anarchie à dompter, et qu’en tout état de cause une nouvelle guerre de l’indépendance pourrait s’ouvrir sous de meilleurs auspices, avec l’appui de l’Italie intérieurement pacifiée. Il conçut la pensée de faire du Piémont le soldat de l’ordre constitutionnel au-delà des Alpes, de rétablir les trônes, de briser cette faible république de Florence couvée par MM. Guerrazzi et Montanelli, et d’aller jusqu’à Rome étouffer dans le germe la dictature de M. Mazzini, en ramenant le pape au Quirinal. De là le premier projet d’une intervention en Toscane, projet auquel le grand-duc avait d’abord accédé. Il n’est point douteux d’ailleurs qu’à ce moment les soldats piémontais n’eussent trouvé qu’une faible résistance ; la masse des populations les eût accueillis avec empressement. La pensée de Gioberti avait une vraie portée politique. Si elle se fût réalisée, l’Italie était rendue à elle-même, tout prétexte était enlevé à une intervention étrangère à Rome et à Florence ; le Piémont regagnait un grand crédit moral dans la péninsule et en Europe ; il dispersait les factions, établissait son droit d’influence au nom d’un intérêt conservateur, et refaisait pour ainsi dire un terrain où auraient pu se nouer de nouvelles alliances entre les gouvernemens italiens.