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dont le nom conservait encore un puissant prestige, l’auteur renommé du Primato, Vincenzo Gioberti. Par la supériorité de son esprit, Gioberti restait évidemment le premier des publicistes italiens. Il n’avait été ministre que quelques jours, mais il avait mieux que ce pouvoir officiel peut-être : il avait une sorte de ministère de l’opinion. Après avoir depuis longtemps, comme écrivain, montré la régénération possible de l’Italie par l’initiative d’un pape et par l’épée du chef de la maison de Savoie, n’avait-il pas vu les faits venir un moment justifier ses idées ? Il s’était trouvé un jour où le Primato semblait mis en action. Revenu au-delà des Alpes après février, Gioberti avait fait en Italie un voyage triomphal, haranguant les peuples, l’armée, les députations des villes, les académies, et partout il s’était vu accueilli comme l’initiateur de la liberté et de l’indépendance italienne. La chambre des députés de Turin, à sa première réunion, avait eu hâte, par un vote unanime, de le nommer son président. On le considérait comme l’homme indispensable de toutes les situations, et rien ne lui eût été plus facile que de rester dans le nouveau ministère formé le 19 août. Par malheur, chez l’auteur du Primato le théoricien l’emportait sur l’homme d’état, la sûreté de l’action et du jugement n’égalait pas l’éloquence de l’esprit. Ambitieux, non du pouvoir en lui-même peut-être, mais de popularité et d’influence, Gioberti cherchait à tout concilier, et il ne réussissait qu’à fondre dans un mélange impossible toutes les politiques avec ce qu’elles avaient de défectueux et sans ce qu’elles avaient de net ou d’efficace. Soit entraînement d’imagination, soit ressentiment de n’avoir pu faire prévaloir ses idées dans le nouveau ministère qui s’était formé sans lui après avoir fait appel à son concours, il poursuivait le cabinet Revel-Pinelli d’une animosité implacable. Or en quoi consistait sa politique ? Gioberti était trop éclairé pour ne pas voir qu’on ne rentre point en campagne avec une armée dissoute, et il ne continuait pas moins la plus étrange opposition contre l’armistice Salasco, seule condition possible d’une suspension d’armes. Il ne voulait pas de la médiation, dont il n’attendait rien ; il repoussait l’intervention armée de la France, qui eût entraîné une guerre universelle, et il imaginait la plus singulière distinction entre l’intervention et un secours demandé à notre gouvernement. Puérile subtilité ! comme si l’apparition d’une force française au-delà des Alpes eût changé de caractère aux yeux de l’Europe en prenant le nom de secours au lieu de celui d’intervention, comme si un pays tel que la France d’ailleurs paraît sur un théâtre autrement qu’en son nom et sous son drapeau, sauf à ne pas paraître du tout, s’il y voit un danger !

Gioberti combattait la constituante, nul n’avait fait une guerre plus vive, plus éloquente que lui à M. Mazzini et à la Jeune-Italie, et il choisissait ce moment pour réunir à Turin une sorte de congrès de