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les signa du nom d’Iskander[1], pseudonyme qu’il a conservé en Russie pour toutes ses autres productions. La question que traite M. Hertzen n’est point sans intérêt de nos jours. Partisan déclaré du système philosophique de Hegel, il se place hardiment au point de vue de ce penseur célèbre, et apprécie les adversaires de la science moderne. « Considérée dans son ensemble, nous dit-il, la science moderne s’est imposé pour tâche de concilier les esprits ; mais parmi ceux qui l’envisagent ainsi, les uns la rejettent sans la comprendre, les autres l’acceptent littéralement et d’une façon superficielle ; le nombre de ceux qui s’attachent à l’approfondir comme elle le mérite est des moins considérables. » Après avoir défini avec soin ces différentes catégories d’esprits, soit ennemis déclarés, soit amis plus ou moins sérieux de la science, M. Hertzen les passe successivement en revue. On le voit apporter dans la discussion de tant de doctrines contraires un fonds de connaissances littéraires et scientifiques qui, en Russie surtout, n’est point chose commune, relevé par une tournure d’esprit vive et railleuse. L’auteur apprécie très judicieusement le caractère de ses compatriotes. Rien de plus vrai, par exemple, que les remarques suivantes :


« Un des traits particuliers aux Russes, nous dit-il, c’est l’extrême facilité avec laquelle ils s’approprient les travaux des savans étrangers. Le mot facilité est même beaucoup trop faible ; ils font preuve à cet égard d’une habileté, d’une souplesse d’esprit qui n’est pas un des côtés les moins curieux de leur caractère national. Malheureusement ce mérite ne saurait compenser une imperfection des plus graves ; ils profitent rarement des études auxquelles ils se livrent ainsi. Que d’autres retirent les charbons ardens du foyer ; il leur semble fort naturel que l’Europe consacre son sang et ses sueurs à la recherche de la vérité. À elle les souffrances d’une longue gestation, d’un enfantement douloureux, d’un long allaitement ; quant à eux, ils en recueilleront volontiers le fruit. Pourquoi pas ? Ils ne se doutent point que ce fruit ne saurait Jamais être qu’un enfant d’adoption sans aucun rapport de parenté avec eux… Une foule de connaissances sérieuses se sont à la vérité répandues très promptement en Russie, mais elles y demeurent stériles, tant pour chaque individu en particulier que pour tout le pays. On s’imagine parmi nous qu’il est possible de saisir l’érudition au vol comme une mouche ; puis, une fois la main ouverte, les uns reconnaissent à leur grand étonnement qu’elle est vide, d’autres pensent de bonne foi qu’ils tiennent l’absolu ! »


Ailleurs M. Hertzen revient encore sur ces réflexions, et il les présente d’une façon moins abstraite :


« Nous sommes omnivore, et cela non-seulement au physique, mais au moral. Comme dans les venus, nous acceptons, à titre d’héritage, tout ce que les autres peuples veulent bien nous léguer ; mais nous le recevons comme si c’était un bien étranger. Il ne nous paraît nullement indispensable, et nous

  1. Mot persan, synonyme d’Alexandre.