Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre et n’en pouvait rien dire ; or la guerre restait évidemment le point essentiel pour la Sardaigne. Politiquement, je veux dire théoriquement, le royaume de la Haute-Italie n’avait pas cessé d’exister ; le projet de fédération n’en parlait pas. Le Piémont en outre ne pouvait se dissimuler qu’il avait excité des rivalités nombreuses depuis que la perspective d’un agrandissement s’était ouverte pour lui. Rien ne peint mieux ce qu’il y avait de complexe dans cette situation que quelques ligues d’une vivacité acérée, écrites sans doute dans un moment d’impatience contre le cabinet de Turin et publiées par Rossi dans la gazette officielle de Rome.


« À quoi se réduit, disait-il, la proposition piémontaise ? À ceci : Décrétons la ligue en principe, envoyez-nous des hommes, des armes, de l’argent, puis aussitôt qu’il sera possible, des plénipotentiaires se réuniront à Rome pour délibérer sur les lois organiques de la ligue. Or, avant tout, il faudrait dire clairement quel territoire le Piémont entend que Rome et la Toscane lui garantissent. Est-ce l’ancien ou le nouveau, celui qu’il possède ou celui qu’il espérait posséder ? Si c’est l’ancien, il n’y a point d’objection. Si c’est le nouveau, qui ne voit que la Toscane et Rome, en garantissant seules de si magnifiques annexions, feraient sourire l’Europe ? Qu’on ne dise pas que c’est là un pacte national, une condition de l’indépendance italienne. L’autonomie de l’Italie ne suppose pas nécessairement l’empire de la maison de Savoie du Tanaro aux Alpes. Si cet empire est une des formes que l’Italie indépendans pourrait prendre, elle n’est pas la seule. Il n’est pas nécessaire d’examiner si cette forme est préférable à toute autre, ni si en s’étendant au-delà de Plaisance et la Lombardie elle n’aurait pas quelque chose d’inopportun et d’excessif. Cette forme fût-elle la meilleure lorsqu’elle a été imaginée, aujourd’hui les conditions sont autres ; il y a autant de différence qu’entre posséder et avoir à reconquérir. Quoi qu’il en soit, il est certain que l’agrandissement du Piémont et l’autonomie italienne ne sont point des choses identiques ; l’une peut exister sans l’autre, et la garantie de territoires non possédés, mais désirés par le Piémont, n’est point une question à décider ainsi le pied levé[1]… »


Dans chaque mot de ce fragment, ce me semble, on peut lire le secret des susceptibilités piémontaises. La Toscane elle-même eût préféré au royaume de la Haute-Italie la création d’un état nouveau et séparé en Lombardie sous l’autorité d’un des fils de Charles-Albert[2]. À tout prendre, le Piémont voyait remis en doute le but auquel il avait dévoué son armée, ses forces, ses finances. Voilà au milieu de quels embarras cheminait cette grande question de l’organisation fédérative de la péninsule.

Ce n’étaient là encore que les difficultés intérieures des

  1. Voir le livre de M. Luigi Carlo Farini, La Stato Romano dall’ anno 1815 all’ anno 1850, t. II.
  2. C’est dans ce sens qu’étaient les instructions donnés au ministre toscan chargé d’aller à la conférence de Bruxelles, où devaient se traiter les affaires italiennes par la médiation anglo-française. Voyez le livre de M. Farini, Lo Stato Romano, t. III.