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peintres introduit dans ces tableaux, où ils nous montrent la Vierge dans sa gloire, quelques-unes de ces figures de pieux donataires ou de saints personnages de la légende, nous sommes charmés chez Raphaël de leur noble simplicité et de la grâce de leurs mouvemens ; chez Murillo, nous admirons avant tout l’expression dont ils sont pénétrés. Ces moines, ces anachorètes qu’il nous montre au désert ou dans leurs cellules, prosternés devant le crucifix et tout meurtris de pieuses macérations, nous remplissent à notre tour d’un sentiment d’abnégation et de croyance.

Le beau serait-il absent de compositions si pénétrantes, qui nous enlèvent dans des régions si différentes de ce qui nous entoure, qui nous font concevoir, au milieu de notre vie sceptique et adonnée à de puériles distractions, la mortification des sens, la puissance du sacrifice et de la contemplation ? Et si réellement le beau respire à un certain degré dans ces ouvrages, gagneraient-ils ce qui leur manque par une plus grande ressemblance avec l’antique ?

On a demandé comment ont fait les anciens, qui n’avaient pas d’antiques. Rembrandt, qui était presque dans le même cas, puisqu’il n’était jamais sorti des marais de la Hollande, montrait ses broyeurs de couleurs et disait : Voilà mes antiques.

On a raison de trouver que l’imitation de l’antique est excellente, mais c’est parce qu’on y trouve observées les lois qui régissent éternellement tous les arts, c’est-à-dire l’expression dans la juste mesure, le naturel et l’élévation tout ensemble ; que de plus, les moyens pratiques de l’exécution sont les plus sensés, les plus propres à produire l’effet. Ces moyens peuvent être employés à autre chose qu’à reproduire sans cesse les dieux de l’Olympe, qui ne sont plus les nôtres, et les héros de l’antiquité. Rembrandt, en faisant le portrait d’un mendiant en haillons, obéissait aux mêmes lois du goût que Phidias sculptant son Jupiter ou sa Pallas. Les grands et nécessaires principes de l’unité et de la variété, de la proportion et de l’expression, n’éclataient pas moins chez l’un et chez l’autre ; seulement les qualités s’y rencontraient à des degrés différens d’excellence ou d’infériorité à raison de l’objet représenté, du tempérament particulier de l’artiste et du goût dominant de son époque.

On a reproché à Racine que ses héros n’étaient pas des héros grecs et romains : je serais tenté de l’en féliciter, et assurément il ne s’en est pas préoccupé. Shakspeare lui-même ressemble beaucoup plus à l’antiquité, quoi qu’en puissent dire les classiques. Ses caractères sont calqués sur ceux de Plutarque : son Coriolan, son Antoine, sa Cléopâtre, son Brutus et tant d’autres, sont ceux de l’histoire, mais ce serait un faible mérite s’ils n’étaient vrais ; ce sont des