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QUESTIONS SUR LE BEAU





En présence d’un objet véritablement beau, un instinct secret nous avertit de sa valeur et nous force à l’admirer en dépit de nos préjugés ou de nos antipathies. Cet accord des personnes de bonne foi prouve que si tous les hommes sentent l’amour, la haine et toutes les passions de la même manière, s’ils sont enivrés des mêmes plaisirs ou déchirés par les mêmes douleurs, ils sont émus également en présence de la beauté, comme aussi ils se sentent blessés par la vue du laid, c’est-à-dire de l’imperfection.

Et cependant il arrive que, quand ils ont eu le temps de se reconnaître et de revenir de la première émotion, en discourant ou la plume à la main, ces admirateurs si unanimes un moment ne s’entendent plus, même sur les points principaux de leur admiration ; les habitudes d’école, les préjugés d’éducation ou de patrie reprennent le dessus dans leur esprit, et il semble alors que plus les juges sont compétens, plus ils se montrent disposés à la contradiction ; car, pour les gens sans prétention, ou ils sont faiblement émus, ou ils s’en tiennent à leur admiration première. Nous ne comptons point dans ces diverses catégories la cohorte des envieux que le beau désespère toujours.

Le sentiment du beau est-il celui qui nous saisit à la vue d’un tableau de Raphaël ou de Rembrandt indifféremment, d’une scène de Shakspeare ou de Corneille quand nous disons : Que c’est beau ! ou se borne-t-il à l’admiration de certains types en dehors desquels il ne soit point de beauté ? En un mot, l’Antinoüs, la Vénus, le Gladiateur, et en général les purs modèles que nous ont transmis les