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Non-seulement il ne rend pas justice à sa méthode, mais il en professe une opposée ; il ne connaît qu’Aristote et ne comprend Platon qu’à travers la polémique d’Aristote et le témoignage de saint Augustin. Dans la Somme du moins, je n’ai pas su trouver la preuve qu’un seul dialogue de Platon ait passé par ses mains, quoiqu’il nomme le Menon. Je sais qu’il prend un essor plus hardi dans les Opuscules : lui aussi, il est très honorablement inconséquent ; mais enfin il a soutenu que rien n’était a priori dans la théologie rationnelle ; il passe pour avoir réfuté l’argument de saint Anselme, et son autorité a été certainement opposée à l’argument de Descartes. Il y a, ce semble, excès de bienveillance à le ranger sans explication, sans restriction, sur la ligne des philosophes qu’il a combattus. Si M. Gratry daigne jeter les yeux sur la préface de la dernière édition de la Summa contra Gentiles, il verra quel parti des théologiens contemporains tirent de saint Thomas contre Descartes, et qu’on a pu, comme l’avait déjà fait le père Ventura, s’appuyer du premier pour instruire le procès de la philosophie du XVIIe siècle.

Il y a plus d’un membre du clergé qui ne juge pas cette époque comme M. Gratry, et qui n’entend nullement à sa manière la philosophie ni la religion. Il le sait aussi bien que nous, et plus d’une fois en écrivant, il a dû se préoccuper du soin de ne pas heurter ceux qu’il surpasse. Nous expliquons par là quelques passages de son livre que nous aimerions mieux n’y point voir. Tels ne sont pas en général ses jugemens sur le XVIIe siècle ; il ne nous en coûte pas d’y souscrire. Toutefois le lecteur aura vu avec surprise le haut rang accordé aux noms de Pétau et de Thomassin. Je répète que je ne connais pas Thomassin, mais le père Pétau serait-il donc là pour éviter que les jésuites ne paraissent sacrifiés aux oratoriens ? Ses Dogmes théologiques sont certainement un ouvrage excellent à consulter, mais j’aurais de la peine à y voir rien de plus qu’une compilation intelligente et méthodique. Sa présence sur la liste nous sert peut-être aussi à y excuser le nom de celui qui a calomnié les plus purs des hommes. Eh bien ! je me serais passé d’y trouver Pascal. Ici pourtant ce n’est plus le génie qui fait défaut. Si Pascal doit être inscrit au tableau, parce qu’il faut que tout écrivain sublime y soit, je n’ai rien à dire. Autrement il paraîtrait difficile d’enrôler parmi ceux qui ont découvert dans l’homme, et jusque dans l’homme de la nature, le sens du divin, le superbe contempteur de la raison humaine, l’infortuné génie qui n’a su édifier le christianisme que sur la double base du scepticisme et du désespoir. M. Gratry me permettra une observation, que je suis surpris d’avoir à faire, c’est qu’il ne songe pas assez combien la foi peut quelquefois corriger ou racheter l’erreur philosophique. De ce que, dans les temps modernes, des esprits d’ailleurs éminens ont proclamé des vérités chrétiennes, mais