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conception, si elle ne lui est point, je ne veux pas dire innée, mais naturelle, si elle n’est pas dans un rapport primordial avec notre constitution intellectuelle. Or qui nous a faits ainsi ? Est-ce la matière, est-ce le hasard, est-ce la série éternelle et infinie des chances possibles, qui a préparé en nous cette production régulière et universelle de la notion d’une cause suprême intelligente ? Cette notion elle-même peut-elle venir d’une autre source que d’une cause intelligente ? Et si cette notion est fausse, qui nous a trompés ainsi ? Si celui qui nous a trompés ainsi est soi-même sans idée ni rien qui y ressemble, d’où vient l’idée ? Et s’il est idée, s’il a des idées, c’est une intelligence, et alors il ne nous a pas trompés. Je présente sous cette forme élémentaire, familière, ce que la science retrouve et démontre avec bien plus d’élévation et de rigueur. Ainsi nous avons en toutes choses l’idée de la perfection, l’idée d’un type souverain auquel nous rapportons, sans le parfaitement connaître, toutes les choses dont nous jugeons sur la terre. Quand nous les trouvons bonnes, justes, belles, que signifient ces mots, s’ils ne veulent dire qu’elles sont plus ou moins conformes au bien, à la justice, à la beauté, plus ou moins semblables aux types du bon, du juste et du beau ? Or entendons-nous par là qu’elles soient plus ou moins conformes ou semblables à rien ? Est-ce néant que le bien, la justice et la beauté ? Alors notre langage est vain, et notre raison n’a aucun sens. Si encore nous les trouvions en nous parfaitement réalisées ou parfaitement connues, ces idées modèles du juste, du beau et du bon, nous pourrions, dans notre orgueil, nous croire la mesure universelle des choses : — resterait à savoir comment nous le serions devenus ; — mais l’illusion est impossible, cette perfection en toute chose dont nous parlons si confidemment, que nous affirmons si résolument, nous ne la connaissons pas, quoique nous en fassions la supposition nécessaire. Encore une fois, il faut tenir pour un jeu puéril l’intelligence humaine, ou il faut admettre que ses conceptions nécessaires attestent leur objet, ainsi que nos connaissances géométriques supposent comme absolues les vérités de la géométrie.

Maintenant comment tout cela aurait-il pénétré dans l’esprit humain, c’est-à-dire comment l’absolu serait-il dans le relatif, le nécessaire dans le contingent, le parfait dans l’imparfait, l’infini dans le fini, si l’absolu, le nécessaire, le parfait, l’infini, n’existaient pas, ou n’étaient au moins quelque part réalisés idéalement, c’est-à-dire parfaitement connus ? Or dans l’une comme dans l’autre hypothèse, à moins d’en faire autant d’idées qui existent chacune pour leur compte et de leur vie propre, ainsi qu’on l’a dit quelquefois des idées de Platon, il faut bien reconnaître que tous ces types se réunissent et s’identifient dans un type unique et général qui est lui-même la perfection suprême, ou bien qu’ils sont conçus idéalement par une