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anciens rois, emportés par la passion de la chasse, se plongeaient au plus profond des forêts, oubliant les affaires du royaume pour vivre de la vie sauvage, les brahmanes les déposaient aussitôt, et par là ils faisaient rentrer la nation tout entière dans la vole de la civilisation. Quand des princes violens et orgueilleux poussaient l’audace jusqu’à vouloir se faire adorer, ou négligeaient par impiété le culte des dieux, les brahmanes s’insurgeaient contre eux, et la barbarie, qui menaçait d’envahir la nouvelle patrie des Hindous, était vaincue une fois encore. C’est au brahmanisme que l’on doit tant de pagodes, de temples souterrains, de palais magnifiques qui étonnent encore aujourd’hui les regards du voyageur, et ces immenses compositions littéraires qui seront un jour, nous l’espérons, aussi connues de l’Europe que les œuvres des poètes de l’antiquité classique. C’est à lui que l’on doit la conservation de ces hymnes védiques qui nous montrent le peuple aryen plein de feu, de jeunesse, d’enthousiasme, prenant son essor vers le midi, à la manière des grands fleuves dont il suivit les bords, plus larges, plus profonds, plus imposans, mais aussi plus troublés dans leurs ondes à mesure qu’ils s’éloignent de leurs sources. La source par excellence pour tout ce qui concerne l’Inde, c’est le Véda, livre multiple dans lequel se reflètent, comme dans un vivant miroir, les croyances, la vie publique et les sentimens intimes des Aryens. L’antiquité ne nous a légué aucun ouvrage, — la Bible exceptée, — qui fasse naître plus d’idées dans l’esprit de quiconque le lit avec un peu d’attention. On n’y trouve pas un mot d’histoire, a-t-on dit : cela est vrai ; mais si les faits sont absens, ne sent-on pas battre le cœur d’une nation pleine de sève qui obéit à une impulsion irrésistible, et vole avec ardeur au-devant des destinées qui l’attendent ? Sous ce sabéisme rêveur, ne voit-on pas poindre le panthéisme qui entraînera comme dans un tourbillon les générations futures ? Ne saisit-on pas dans son germe la légende qui va croître et étendre au loin ses rameaux chargés de fleurs aux parfums enivrans ? N’assiste-t-on pas en quelque sorte à la formation d’une société théocratique plus préoccupée de ses dieux que de ses intérêts matériels, plus avide d’offrir des sacrifices que de célébrer la pompe des gloires humaines ? Non, nous ne connaissons pas la marche exacte des Aryens depuis leur sortie des plateaux de l’Asie ; nous ignorons par quelle suite de combats et de luttes acharnées ils se sont établis dans toute la région qui a pris le nom d’Hindostan ; mais nous savons ce qu’ils demandaient aux dieux, quels ennemis ils redoutaient, quelles étaient leurs armes, leurs instrumens aratoires, leurs habitudes domestiques. À défaut d’histoire, c’est un tableau complet de cette époque lointaine que nous offre ce beau livre des hymnes.