Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie sédentaire. Ils ont rencontré la vraie patrie qu’ils cherchaient ; la beauté du pays, la douceur du climat, la fertilité des plaines et des vallées les ont captivés. Les habitations temporaires se changent en demeures fixes, les campemens en villages. Les familles s’accroissent, les travaux se multiplient, les professions plus tranchées deviennent naturellement héréditaires. Le père lègue à ses fils les ustensiles propres au sacrifice, ses armes, les outils du labourage, son champ, ses troupeaux. La propriété, qui est déjà un droit, semble constituer vis-à-vis de chacun le devoir de continuer les travaux dont il a reçu les premières notions dans son enfance. Le régime patriarcal, qui est celui de la famille, s’efface peu à peu devant une organisation moins simple, mais qui répond mieux aux besoins d’une société plus développée. Placés au premier rang par la connaissance du rituel et de la tradition religieuse qui se perpétuait parmi eux, les descendans des anciens chefs de tribus avaient gouverné les Aryens émigrans, tout en offrant les sacrifices aux dieux en leur qualité de prêtres. Il arrive un moment où ces conducteurs de peuples, pareils aux juges qui régissaient les Hébreux, doivent céder une partie de leur pouvoir à des hommes vaillans, investis du droit de commander ; la royauté est établie. Telle paraît avoir été la situation des Aryens à l’époque védique. Tous les hommes en état de porter les armes prennent part à la défense commune, comme aussi tous les enfans de la tribu se livrent encore à l’agriculture et exercent la profession de pasteurs aux heures de trêve ; mais il existe déjà des classes dans cette société naissante, seulement la loi n’a point élevé entre elles ces barrières infranchissables qui en feront des castes.

Trois choses constituent la nationalité des Aryens et leur supériorité incontestable sur les peuples qui occupaient l’Inde avant eux : la tradition religieuse, la langue et le culte védiques. À qui est confié le dépôt de cette triple connaissance ? Aux prêtres, qui forment un corps officiant et enseignant. Ce corps ne peut se recruter ailleurs que dans son propre sein, sous peine de déchoir ; par l’effet de l’isolement, il devient une caste, celle des brahmanes ou fils aînés de Brahma, identifiés avec la parole divine et inaltérable. L’unité de vues et d’intérêts les tient étroitement liés et augmente rapidement leur autorité. D’autre part, la défense des villes qui se bâtissent sur divers points, la protection des terres que l’on défriche à l’entour et qui se partagent en royaumes ou principautés, la sécurité des relations qui s’établissent d’une province à l’autre, le besoin de repousser les attaques des barbares, obligent les rois et leurs familles à se vouer exclusivement au métier des armes. La possession des fiefs et l’exercice d’un pouvoir à peu près sans contrôle deviennent les privilèges et comme la récompense de ces guerriers prêts à verser leur