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de mes ennemis, que je règne sans restriction, que je brille parmi tous les êtres et parmi tout mon peuple ! »

N’est-ce pas là à peu près la formule de consécration d’un roi électif, choisi par les sages pour mettre un terme à l’anarchie qui vient d’éclater dans la tribu ? Pour faire cesser les contestations qui se sont élevées parmi les chefs, il faut que l’un d’eux soit solennellement, et à la face des dieux représentés par le sacrifice, reconnu pour seul maître. Évidemment il s’agit de rétablir la paix dans la nation troublée, et la possession d’un territoire conquis a mis la discorde dans le camp des Aryens. On n’en est donc plus tout à fait à l’âge d’or, malgré le calme imposant de ce dialogue entre les prêtres et le roi. Les stances du Sacre se distinguent par la même simplicité unie à la même dignité de style :

« Je t’ai amené au milieu (de l’enceinte). Sois ferme ; soutiens-toi sans trembler. Tout le peuple te désire ; que ta royauté ne chancelle pas ! — Crois en grandeur, ne tombe point ; sois comme une montagne, inébranlable ; tiens-toi aussi ferme qu’Indra. Affermis ta royauté — Le ciel est ferme, la terre est ferme ; ces montagnes sont fermes ; tout ce monde est ferme. Que le roi des nations soit aussi ferme….. — À un ferme holocauste nous joignons la ferme libation du Soma. Qu’Indra rende tout peuple fidèle à payer l’impôt. »

Il faudrait avoir un commentaire pour savoir en quoi consistait cet impôt, et par suite quelles étaient, à cette époque reculée, les ressources du peuple aryen. Voilà un roi sacré en bonne règle et en des termes concis, brefs, qui ressemblent à des formules de rituel. La nation aryenne se compose déjà des trois classes qui constituent une société organisée : les prêtres, les rois, le peuple ; mais les castes n’existent point encore. Comment donc s’introduisit dans l’Inde ce régime exceptionnel que l’on y trouve tout établi dès le XIIe siècle avant notre ère[1], et si bien accepté qu’il ne sera jamais directement combattu par les sectes dissidentes ? On n’en sait rien, parce que les Hindous n’ont eu nul souci de leur histoire, et si cette histoire existait, elle ne le dirait sans doute pas en toute franchise. Interrogez là-dessus un brahmane, il vous répondra qu’il est le premier-né de la création, parce qu’il est sorti de la bouche de Brahma, le créateur suprême. Quand il s’agit de la formation des castes, on en est donc réduit à des suppositions, et voici comment nous essaierons d’expliquer ce grand fait social.

Une fois arrivés sur le sol de l’Inde, les Aryens prennent goût à la

  1. En adoptant comme vraie l’hypothèse admise par les savans les plus respectables, qui assignent cette date à la compilation des lois de Manou. Les Védas auraient été composés quatre ou cinq siècles auparavant.