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héros, vainqueur de Vritra de démon des ténèbres). Frappe nos ennemis, éloigne les méchans, fais que nous soyons partout redoutés… »


On peut remarquer une légère dissonance dans ce vers, où le dieu qui boit joyeusement est qualifié de sage ; mais ne s’agit-il pas de la sainte ivresse, de l’exaltation guerrière et religieuse qui conduit les Aryens à la victoire ? Et puis, qui pourrait se flatter de saisir sous son vrai jour la pensée des chantres du Rig-Véda, rapide et fugitive comme l’éclair, pareille au nuage d’été qui revêt successivement mille formes diverses ? Dans un hymne au Soma, remarquable par son étendue et par la vigueur du style, la précieuse liqueur n’est d’abord que la personnification du sacrifice : « Soma est l’étendard du sacrifice et l’ornement de nos cérémonies ;… il s’échappe par mille torrens, et sa liqueur généreuse va remplir en frémissant et les mortiers et les vases des libations. » Et quelques stances plus loin, dans le feu de son improvisation, le même poète dira : « L’adorable Soma revêt une cuirasse dont les reflets touchent le ciel… » Voilà le dieu sous les traits d’un héros ; sa physionomie se détache nettement et en traits lumineux à travers les nuages qui occupent le fond du tableau. En y regardant de près, on trouverait dans ces brillantes divagations de la poésie indienne la preuve des efforts que font constamment de nobles esprits pour créer des êtres immortels auxquels ils puissent rendre un culte. Dès que l’une des puissances de la nature leur apparaît sous un aspect particulier, ils la détachent de l’ensemble et cherchent à en préciser le caractère ; mais les attributs de ces divinités se confondent presque aussitôt, elles flottent dans le vague avec leurs armes d’or, leurs chars et leur rayonnement qui éblouit, se pressant les unes les autres dans une succession rapide. À mesure que le poète les voit passer dans les rêves de son imagination, il leur jette une invocation, il leur adresse un hymne de louanges. Suivant qu’il est sous l’influence de la peur, de l’espérance, du découragement ou de la joie, il accorde à ses invisibles protecteurs la force, la puissance, la bonté, dont il demande quelque preuve éclatante en retour de sa piété. C’est ainsi que naissent autour des trois grands dieux, le Feu, l’Éther et le Soleil, des divinités secondaires objets de l’adoration fervente des Aryens : l’Aurore, Soma, les Viçvadévas, dii minores, au nombre de dix, les Açvins, crépuscules du matin et du soir, et une foule d’autres parmi lesquels il faut distinguer les Marouts,

Les Marouts s’offrent à nous comme la personnification des vents, non pas de ces zéphyrs légers qui rafraîchissent l’atmosphère, mais bien de ces vents impétueux, chargés de pluie, qui se précipitent du haut des montagnes, brisent la cime des arbres les plus vigoureux, et semblent marcher en troupes comme une nuée d’oiseaux.