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breuvage vivifiant exaltait leur imagination jusqu’à une ivresse réelle. Dans leurs longues et pénibles marches à travers les hordes ennemies, les guerriers l’invoquent encore avec enthousiasme comme une manne céleste.


« Ô Soma, au bruit de nos louanges, coule en faveur d’Indra ; que la maladie, que le rakchasa (l’ogre) soit loin de nous ! Que les hommes à double vote[1] ne s’enivrent point de ton breuvage ! Que ta liqueur soit pour nous une source de biens ! — Ô dieu pur, donne-nous ta force dans les combats. Tu es la boisson chérie des dieux. Envoie la mort aux ennemis qui s’approchent. Indra, bois ce Soma et envoie la mort à nos ennemis. — Invincible Indou, tu coules pour le bonheur d’Indra dont tu es le breuvage le plus doux. La foule des sages vient vers toi ; ils saluent le roi du monde. — ….. Tu résonnes dans le vase des purifications où tu te mêles au fait de la vache ; tu passes par le feutre de laine. Ainsi purifié, ô Soma, tel qu’un coursier chargé de biens, coule dans les entrailles d’Indra. — Coule pour le plaisir de la race divine….. Les dix doigts te purifient dans le vase sacré. Les prières et les hymnes des sages précipitent ta course rapide….. O dieu pur, nous attendons de toi une mâle famille, de larges pâturages, une maison grande et vaste….. »


C’est ainsi que le jus d’une plante mêlé au lait de la vache et au suc des grains, tamisé dans un feutre et agité dans le vase des sacrifices par les dix doigts du prêtre, se transforme par une série d’images en une puissance divine capable de réjouir les immortels eux-mêmes. Il y a dans cette personnification du Soma l’indice d’un état social fort peu avancé ; ce mythe doit être des plus anciens et antérieur à la dispersion des tribus aryennes. Les peuples qui rendent un pareil hommage à une simple boisson péniblement obtenue ignorent encore les délicatesses de la vie. Dans leur naïve piété, ils convient les dieux à ce banquet du sacrifice, comme on invite un hôte respecté à partager la liqueur ambrée qui fermente dans la coupe. C’est que, malgré l’élévation de leurs pensées, ils ne peuvent se figurer les habitans du ciel autrement que comme des êtres affamés et altérés, qu’il faut se rendre propices par de grasses offrandes. Aussi s’écrient-ils par la bouche de leurs poètes :


« O puissant Indra, ami du Soma, cette ivresse qui t’a fait donner la mort au vorace (démon), nous t’invitons à t’y plonger…… — Cette ivresse qui t’a fait lancer, telles que des chars rapides, les grandes eaux des rivières, nous t’invitons à t’y plonger… »

« Généreux Indra, associé avec les Marouts (les vents), bois ce Souma ; … enivre-toi et combats. Verse dans ta poitrine ces flots de miel savoureux. — Accompagné des Marouts, bois joyeusement avec eux notre Soma, sage

  1. Cette expression désigne probablement des tribus qui auraient abandonné les rites védiques pour emprunter aux barbares quelques-unes de leurs croyances et de leurs pratiques religieuses.