Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la découverte, marchaient, pour ainsi dire, en trois corps. Il y avait les colons établis à poste fixe dans des grâmas : ce mot a pris depuis la signification plus restreinte de village ; il désignait une ville non fortifiée, située au milieu des champs, et dans laquelle résidaient les gens de la caste servile, gardiens des troupeaux, ainsi que les agriculteurs. Le grâma était sous la protection d’Agni, dieu du feu, parce que là on offrait le sacrifice, là vivait la nation réunie autour de ses prêtres et de ses chefs. La forêt se défrichait à la ronde, et les Aryens prenaient possession du sol, comme l’indique le mot kchitaya (association d’hommes qui habitent et possèdent)[1]. À mesure que ces villages prenaient de la consistance, les pasteurs reculaient plus loin leurs demeures temporaires ; puis autour d’eux se fixaient des laboureurs qui ouvraient avec le fer de la charrue de nouvelles places désertes, et une autre portion de la tribu partait en avant-garde, allant porter ailleurs les premiers germes de la civilisation.

Les Aryens savaient travailler le fer, et ils l’employaient à se fabriquer des armes, comme aussi à façonner des instrumens aratoires. L’or, nous l’avons remarqué déjà, leur était bien connu : ils en appréciaient la valeur et semblaient attacher un grand prix à la possession de ce métal éblouissant, dont ils voient l’image dans les rayons du soleil ; mais leur véritable richesse, celle qu’ils protégeaient de leur mieux contre les assauts des barbares, c’étaient les bœufs, les vaches et les chevaux ; les bœufs servaient au labourage, les vaches nourrissaient la tribu par leur lait, les chevaux servaient à conduire les chars des combattans. Ces deux genres de troupeaux représentaient pour eux la paix et la guerre, l’abondance heureuse ou l’impétueuse mêlée. « Héros, bienfaiteur des mortels, disent-ils à Indra, donne-nous la jouissance d’un pâturage plein de vaches ! — Dieu sage et prudent, tu es entouré de tes lueurs comme un roi de ses femmes ;… fais le bonheur et la fortune de tes serviteurs en nous donnant la beauté du corps, des vaches et des chevaux. » Dans ce mot, la beauté du corps, se trahit la fierté d’une race qui tient à se conserver pure au milieu des barbares. La vache, qui deviendra plus tard le symbole du brahmanisme, de la terre, un animal sacré et inviolable (dont aujourd’hui encore les pieux Hindous reçoivent l’ambroisie dans leurs mains pour s’en frotter la face) ; la vache, première richesse des Aryens, est assimilée par les poètes aux rayons du jour naissant, aux lueurs du crépuscule, à tout ce qui a une teinte fauve dans le ciel. Elle est

  1. Voir les trois premiers chapitres de l’Essai sur le Mythe des Ribhavas, par M. Nève, professeur à l’université de Louvain. Ce mot est formé lui-même du radical kchi, qui veut dire à la fois détruire et gouverner à son gré, dans le sens que les Romains donnaient au droit de propriété, qui est celui d’user et d’abuser : utendi et abutendi ; peut-être y doit-on voir aussi l’idée de détruire la forêt, de la défricher.