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pareils à des guerriers désarmés. Comme ils prêtent une oreille attentive aux hurlemens des loups, aux rugissemens des lions et des tigres, aux cris des oiseaux nocturnes, associant dans leur imagination ces voix terribles à des êtres revêtus de corps étranges et gigantesques ! C’est Indra qu’ils appellent en ces momens de trouble, et ils lui disent : « Donne la mort à ces mauvais esprits qui prennent la forme de chouette, de chat-huant, de chien, de loup, d’oiseau, de vautour… Éloigne ces êtres malfaisans qui, cruels et vagabonds, ont des figures d’hommes ou de femmes. — Tue cet être mâle ou femelle qui emploie une magie pernicieuse. » Le poète qui parle ainsi, c’est Vacichtha, le plus austère, le plus sérieux des anciens sages. Les Aryens éprouvent donc ces étreintes de la peur qui donnent le cauchemar ; aussi célèbrent-ils le retour de l’aurore avec allégresse. « Ramenant la parole et la prière, s’écrient-ils, l’aurore reprend ses teintes brillantes ; elle ouvre pour nous les portes du jour. Elle illumine le monde,… elle visite tous les êtres… »

La déesse aux doigts de rose, l’Aurore classique, reste bien loin derrière cette Aurore indienne, qui ramène la parole et la prière. Parler et prier, penser et connaître Dieu, ne sont-ce pas là les deux plus beaux attributs de la créature intelligente ? Elle est comme la tendre mère des Aryens, cette divinité vigilante qui vient à son réveil visiter tous les êtres et leur rendre la vie après le sommeil, qui est l’emblème de la mort. C’est pourquoi ils lui adressent encore cette touchante invocation : « Fille du ciel. Aurore, lève-toi, apporte-nous tes richesses et ton abondance… L’Aurore, comme une bonne mère de famille, vient pour protéger le monde ; elle arrive, arrêtant le vol. du génie de la nuit…»

N’est-il pas consolant pour l’humanité de songer qu’il y a trente siècles des poètes savaient tirer de leur cœur et de leur âme de pareils accens ? Avant d’avoir fait la moindre découverte dans le domaine des arts et des sciences, l’homme possède l’entier développement de ses facultés intellectuelles, et c’est le sentiment religieux qui le soutient à cette hauteur. À l’époque des Védas, la nation aryenne n’en était encore qu’aux élémens de la civilisation, et cependant voyez comme ses chants sont colorés de vives images ! C’est que ces émigrans conservaient le souvenir de leur simplicité primitive, tout en marchant à la conquête d’une terre inconnue ; la vue d’horizons nouveaux, l’impression qu’ils ressentaient à l’aspect des phénomènes particuliers aux climats méridionaux, leur causaient cette surprise naïve que les peuples jeunes encore savent exprimer dans un langage tout empreint de fraîcheur et de véritable poésie.

Il ressort des hymnes du Rig-Véda que les Aryens, pareils en cela aux Européens établis dans le Nouveau-Monde aux premiers temps