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découvertes réservées à ceux qui suivraient leurs traces. Ils furent les véritables conquérans de l’Inde ancienne, et on leur doit en grande partie ce qui s’est fait depuis eux, car ils ont retrouvé un monde oublié. On ne peut donc s’empêcher de se retourner vers eux et de les saluer d’un souvenir reconnaissant à la vue des publications magnifiques dont l’Angleterre a doté l’Europe savante depuis cinquante ans. Le texte des lois de Manou, imprimé deux fois à Calcutta avec un commentaire et traduit par W. Jones, avait fait connaître l’organisation de la société aryenne, divisée par castes dix siècles avant notre ère, à l’époque où le brahmanisme brillait du plus vif éclat, dominant la royauté de toute la hauteur qui élève le pouvoir spirituel au-dessus de la puissance temporelle. Les grandes épopées, le Mahâbhârata et le Râmâyana, l’Iliade et l’Odyssée de ces peuples adorateurs des héros[1], publiées en entier, la première à Calcutta par les soins du comité d’éducation, la seconde à Paris par M. G. Gorresio de Turin, donnèrent la mesure du génie poétique des Indiens, Dans les deux pourânas récemment traduits par MM. E. Burnouf et H. Wilson[2], on eut deux spécimens fort curieux de ces recueils immenses, un peu informes, pareils aux dépôts d’alluvion, dans lesquels se sont accumulés tous les récits mythologiques, toutes les légendes qui ont cours dans le monde des Hindous, compositions bizarres où le dogme et la poésie se prêtent un mutuel secours pour donner une âme aux objets sensibles et revêtir d’un corps les abstractions de la métaphysique.

La philosophie spéculative et la philosophie dogmatique, le drame, l’apologue cher aux Orientaux, la chronique merveilleuse ont eu aussi depuis longtemps leur place parmi les publications auxquelles l’Angleterre, la France et l’Allemagne prennent part avec une si noble émulation. Cependant il y avait encore une conquête à faire dans le domaine des études indiennes. Tant que les quatre Vêdas ou livres sacrés restaient à l’état de manuscrit entre les mains des brahmanes ou dans les bibliothèques de l’Inde et de l’Europe, il était difficile, pour ne pas dire impossible, de se faire une idée du premier âge des peuples hindous. On avait beau rechercher leurs origines dans les poèmes et dans les recueils de lois ; le passé reculait toujours, et la

  1. Voyez sur le Râmâyana la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1847.
  2. Le Bhâgavata-Pourâna a été publié, texte et traduction, Jusqu’à la fin du neuvième livre. La mort, qui a surpris l’auteur au milieu de ses travaux, l’a empêché de terminer ce grand et bel ouvrage. La préface, placée en tête du premier volume, est un de ces morceaux pleins d’érudition et de vues nouvelles, écrits dans un style large, clair, d’une hante élégance, comme M. E. Burnouf savait les composer. M. le professeur Wilson a accompagné sa traduction du Vichnou-Pourâna d’une foule de notes savantes qui en sont le commentaire perpétuel. — On peut voir sur le Bhâgavata-Pourâna la Revue du 15 novembre 1850.