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deux armées, rangées en ligne, commençaient à se mêler, la cavalerie, qui formait une des ailes romaines, s’ ébranla effectivement au signal de son chef, croyant exécuter une manœuvre ; mais, quand elle vit celui-ci se diriger vers la ville et qu’elle soupçonna une désertion, elle tourna bride aussitôt et vint reprendre son poste sur le flanc des légions. Il était temps, car la cavalerie hunnique opérait déjà son mouvement, et les légions commençaient à se débander. Le combat recommençant alors avec une nouvelle vigueur, Hormidac fut rejeté rudement dans la ville. Le lendemain il demandait à capituler. « Le prix de la paix, répondit le consul, c’est la tête du traître. » Cette tête lui fut livrée sans hésitation. « Ce fut, dit le narrateur contemporain, comme l’arrêt d’un juge romain exécuté par des barbares[1]. » En capitulant avec les Huns, Anthémius sauvait Sardique d’une destruction complète. Hormidac et ses compagnons, en bien petit nombre, regagnèrent le Danube sans bagage, sans chevaux et presque sans vie.

Le récit de cette courte, mais curieuse guerre ne nous vient pas d’un historien ; nous la tenons d’un poète, et d’un poète gaulois, le célèbre Sidoine Apollinaire, auteur d’un panégyrique d’Anthémius devenu empereur d’Occident. Suivant l’usage des poètes, Sidoine ayant à mettre en scène la nation des Huns n’a point manqué l’occasion d’en tracer le portrait, et il l’a fait avec toutes les recherches, toute l’exagération de ce faux bel-esprit qui flattait le goût de ses contemporains, et qui fut, il faut bien le dire, pour une grande part dans sa renommée. Toutefois Apollinaire, homme de lettres mêlé aux affaires publiques, gendre de l’empereur Avitus et plus tard évêque de Clermont, vivait au milieu de gens qui avaient combattu ces barbares dans les armées romaines, lui-même les avait vus sans aucun doute pendant l’invasion d’Attila en Gaule ; nous pouvons donc considérer la peinture qu’il nous en donne comme présentant un fond de réalité sous les couleurs forcées qui la déparent. Cela admis, il est curieux de comparer le tableau de Sidoine Apollinaire, tracé en 468, avec celui qu’esquissait Ammien Marcellin vers l’année 375, sous la première impression de l’arrivée des Huns en Occident. Si la férocité du caractère a pu s’adoucir chez ce peuple par un séjour de près de cent années au cœur de l’Europe et par son contact avec des races plus civilisées, on reconnaît du moins, en rapprochant ces deux portraits faits à un siècle de distance, que son type physique et ses mœurs n’avaient pas notablement changé.


« Cette nation funeste est cruelle, avide, sauvage au-delà de toute idée, et

  1. Nam qui te fugit mandata morte peremtus,
    Non tam victoris periit quam judicis ore.
    (Sid. Apoll., Panég, Anth, v. 305.)