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cadre de disponibilité. La mesure peut être protectrice pour les hommes ; pour l’état, pour le gouvernement, elle crée cette tentation toujours périlleuse de mettre en disponibilité un fonctionnaire qu’on n’aurait aucune raison de révoquer. Les changemens de direction, des circonstances exceptionnelles, le besoin d’avoir une place vacante, peuvent accroître singulièrement, ce nous semble, les cadres de la non-activité. Ce n’est point au début, c’est à la longue que ce danger se manifeste. Si l’on veut un exemple, on n’a qu’à observer l’Espagne, où ce système est appliqué sur une vaste échelle, il est vrai, et où ce qu’on nomme les classes passives, c’est-à-dire en grande partie les fonctionnaires disponibles, sont une des plus lourdes charges du budget de l’état. C’est là un objet digne de l’attention du nouveau ministre, M. Billault. Les changemens de ministère ne sont point toujours sans doute un revirement politique, ils ne l’ont même jamais été autant qu’on l’a dit, autant que l’eussent voulu les oppositions surtout ; mais sous tous les régimes les mêmes principes peuvent recevoir une application plus ou moins intelligente, plus ou moins large, selon les hommes chargés de les interpréter. M. Billault a trop l’expérience de notre histoire politique pour ne point comprendre la diversité et la complexité des intérêts qui vivent toujours dans un pays comme la France.

Lorsque le cours singulier des choses a voulu que notre histoire d’il y a cinquante ans recommençât en quelque sorte, passant par les mêmes phases pour aboutir aux mêmes résultats, il s’est trouvé que parmi les hommes qui avaient eu leur part dans cette première histoire beaucoup avaient déjà disparu, les autres étaient en train de disparaître. Par une de ces coïncidences étranges, c’est vers le 2 décembre 1851 que mourait le maréchal Soult. L’heure semblait venue pour toutes ces révélations, pour tous ces témoignages directs qui, en éclairant les événemens passés, tirent des événemens plus récens eux-mêmes une force nouvelle. De là l’intérêt particulier de ces publications diverses qui se succèdent. Ce sont aujourd’hui les Mémoires du maréchal Soult, c’était hier la Correspondance du roi Joseph arrivée maintenant à sa fin ; c’est encore l’Histoire de la Campagne de 1800, écrite par M. le duc de Valmy avec les papiers recueillis dans la succession de son père, le général Kellermann. Tous ces ouvrages d’un caractère différent, politique ou militaire, racontent et remettent sous les yeux toute une époque ; ils reproduisent la physionomie vivante des choses, expliquent les faits, comblent les lacunes des récits officiels, et marquent les jalons à travers toutes ces périodes républicaines et impériales. Avant d’être maréchal de l’empire en effet, le duc de Dalmatie n’était-il pas le soldat de royal-infanterie de 1791, l’officier de l’armée du Rhin, le général de l’armée de la Moselle et de l’armée d’Italie ? C’est de ces premiers temps d’abord que parlent les Mémoires du maréchal Soult.

On a voulu bien des fois, avec raison, dissiper ces confusions à l’aide desquelles les sophistes ont essayé de jeter le lustre de la gloire sur les forfaits gigantesques de 1793, en faisant, pour ainsi dire, de l’énergie révolutionnaire du comité de salut public le ressort des victoires de nos armées. Le maréchal Soult, sans y songer peut-être, révèle dans ses Mémoires ce qui en est sur ce point. Au milieu des opérations les plus vigoureuses et les plus intelligentes, le comité de salut public brise l’épée victorieuse de Hoche.