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ver à une paix solide, environnée de toutes les garanties. Les récens mouvemens de la Russie eussent-ils le sens qu’on leur prête au surplus, l’Autriche pourrait peut-être se demander encore si ce ne serait pas simplement un moyen de la désarmer pour le moment, d’embarrasser l’Allemagne en lui jetant sur les bras cette terrible difficulté de la paix dans les circonstances actuelles, et de parvenir à dissoudre cette imposante coalition formée en Europe au nom du droit et de la sécurité universelle. L’Autriche est trop engagée désormais pour séparer sa cause de celle de l’Angleterre et de la France, et elle ne dissimule nullement, assure-t-on, sa résolution sur ce point.

Toutes ces questions, toutes ces éventualités à peine aperçues, étaient récemment l’objet d’une discussion des plus animées dans le parlement anglais sur une interpellation de lord Lyndhurst, qui se faisait l’organe de certaines craintes relativement à la politique de l’Allemagne. Lord Lyndhurst le disait avec raison : « Si vous voulez rétablir le statu quo, qui vous répondra de l’union des quatre puissances pour qu’il ne dégénère pas de nouveau en péril ? » Seulement cette crainte n’était point justifiée sans doute à l’égard de l’Autriche. Un des incidens les plus remarquables de cette discussion, c’est que le ministre des affaires étragères, lord Clarendon, était beaucoup plus explicite sur la nature de la pacification à poursuivre que lord Aberdeen, si bien que le chef du ministère anglais s’est cru obligé, ces jours derniers, de saisir le prétexte du dépôt d’une dépêche écrite autrefois par lui au sujet du traité d’Andrinople pour amender ou interpréter son premier discours. Le traité d’Andrinople est sorti fort meurtri du débat ; il est à croire que l’homogénéité du cabinet de Londres aura profité de l’immolation. N’est-ce point là un signe nouveau de cette double tendance qui s’est si souvent montrée dans le ministère anglais, et qui eût menacé son existence dans d’autres conditions ? Quoi qu’il en soit, il y a souvent un moment dans les grandes affaires où une certaine confusion se produit tout à coup. Il suffit, pour rester dans le vrai, pour se diriger sûrement, de revenir aux élémens mêmes de la situation. Or quelle est aujourd’hui cette situation au point où en est venue la crise orientale ? Pendant un an, l’Europe a multiplié les efforts pour le maintien de la paix, ne demandant à la Russie aucun sacrifice, aucune abdication ; elle n’a rien obtenu, elle a été réduite à placer sa sécurité, ses plus essentiels intérêts sous la sauvegarde de ses armes ; elle a engagé ses soldats, grevé ses finances, exposé son industrie aux inévitables perturbations de la guerre. Toute la question est maintenant de savoir si une puissance quelconque peut mettre une moitié de l’Europe en armes sans qu’il sorte de là une paix nouvelle qui soit un frein et une garantie. Ce n’est pas seulement l’affaire de l’Angleterre et de la France, c’est aussi bien l’affaire de l’Autriche et de la Prusse et de tout le continent.

Certes, s’il est une puissance désintéressée à un point de vue restreint, purement national, c’est la France. La France n’a point le même intérêt que l’Autriche, elle n’a point le même intérêt que l’Angleterre ; elle n’a rien à gagner. pour elle-même à une diminution d’influence de la Russie sur le Danube, non plus qu’à l’affaiblissement de la marine moscovite. Son but est la préservation du droit de l’Europe, de la civilisation de l’Occident ; son mobile est dans cet instinct qui la pousse à embrasser et à soutenir les grandes causes, bien qu’il ne puisse être toujours vrai sans doute qu’elle