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gique de nature à garantir l’armée russe et à assurer l’efficacité de son action ultérieure, cela ne changerait pas essentiellement, il nous semble, les conditions des divers états qui ont pris un rôle dans cette triste affaire. La question qui a mis les armes dans les mains de l’Europe n’en resterait pas moins entière, de quelque côté du Pruth que fussent les troupes moscovites. Si, acceptant la force des choses, le cabinet de Saint-Pétersbourg, dans sa réponse à la note de Vienne du 2 juin, donnait à l’évacuation des principautés le sens d’un acte de considération envers les puissances allemandes, alors il est évident que la situation serait modifiée. Le premier résultat serait de poser la question de la paix. Quelque importance qu’eût un tel fait cependant, est-il vrai qu’il s’ensuivit un changement aussi profond qu’on le pense dans les rapports réciproques des quatre gouvernemens qui ont pris part aux travaux de la conférence de Vienne ?

Le système de conduite de ces gouvernemens n’a point été le même, il est vrai, dans la pratique ; la mesure de leur action a varié. L’Angleterre et la France sont en état flagrant d’hostilité avec la Russie, l’Autriche et la Prusse sont sur le bord seulement et ont réservé l’indépendance de leur politique ; mais au fond, qu’il s’agisse de la paix ou de la guerre dans la question présente, les mêmes intérêts ne lient-ils pas les quatre puissances à un point de vue général ? La communauté de leurs vues et de leurs pensées n’a-t-elle point trouvé son expression dans les actes itératifs de la conférence de Vienne ? L’Autriche et la Prusse ne se sont-elles point associées à la politique de l’Angleterre et de la France jusqu’à la déclaration de guerre inclusivement, et n’ont-elles point reconnu la nécessité pour l’Europe de poursuivre une pacification qui assurât l’indépendance de l’Orient ? Ce qui a pu inspirer quelques doutes, c’est un passage de la communication adressée par les cabinets de Vienne et de Berlin à leurs représentans près la diète de Francfort, passage où il est dit que l’intégrité territoriale actuelle de l’Europe, c’est-à-dire celle de la Russie comme celle de la Turquie, doit être maintenue : d’où on conclut que l’Autriche et la Prusse nourrissent encore la pensée de rétablir l’état des choses avant la guerre. La question n’est pas là ; elle est dans les rapports qui devront exister désormais entre la Russie et la Turquie, dans le règlement de l’état de l’Orient, dans les conditions d’une paix protectrice et forte, de nature à garantir le continent contre une prépondérance qui l’a conduit à la crise où nous sommes. C’est là ce qui a jeté l’Europe dans la terrible extrémité du conflit actuel. Il est si peu dans la politique de l’Autriche de se borner au rétablissement de la situation antérieure, qu’indubitablement elle a songé à faire cesser le protectorat russe sur les principautés ; elle a mis au nombre des conditions de la paix la liberté des bouches du Danube, la liberté de la Mer-Noire. C’est là un intérêt universel, on peut le dire, mais aussi avant tout autrichien. S’il y a d’autres intérêts à satisfaire, surtout en présence d’une guerre commencée et qui a eu déjà ses résultats, l’Autriche évidemment ne songe point à méconnaître leur puissance. La plus étrange de toutes les guerre serait celle où il n’y aurait aucun risque pour celui qui l’aurait provoquée, et la plus étrange de toutes les pacifications serait celle qui laisserait subsister des causes permanentes de crises nouvelles. Il y a une double pensée, dans tous les cas, qui doit rester la règle de toutes les puissances : celle de ne poursuivre aucun avantage trop exclusivement personnel celle d’arri-