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partait pour Saint-Pétersbourg la note du cabinet de Vienne, invitant le tsar à évacuer les principautés. Cette note a dû être appuyée par le cabinet de Berlin, et les deux souverains allemands, à la suite de l’entrevue de Tetschen, ont ajouté, dit-on, à cet acte officiel de leur diplomatie une démarche personnelle auprès de l’empereur Nicolas. L’Autriche ne s’arrêtait pas là ; elle signait le 14 juin avec le divan une convention spéciale qui l’autorise éventuellement à entrer dans les provinces moldo-valaques. L’Autriche s’engage à poursuivre, fût-ce par la force, l’évacuation des principautés dans le cas d’un refus du tsar d’obtempérer à la sommation qui lui a été adressée. Du reste la base essentielle du traité est celle de l’intégrité de l’empire ottoman, qui a été consacrée par toutes les délibérations de la conférence de Vienne. L’Autriche réunissait en même temps ses forces dans la Transylvanie. La convention du 14 juin signée avec la Turquie, l’armée autrichienne mise en position d’agir, il ne restait plus qu’à attendre la réponse de Saint-Pétersbourg à la note du 2 juin. C’est dans ces conditions que survient l’évolution nouvelle de la politique du tsar. Le siège de Silistria est levé, les positions sur le Danube sont abandonnées, l’armée russe se replie de toutes parts vers la Moldavie, pour se retirer, assure-t-on, derrière le Pruth. Ainsi la situation semblerait se simplifier et se compliquer à la fois. Elle se simplifierait, parce qu’une des conditions de la paix se trouverait remplie ; elle se compliquerait en remettant en question peut-être la politique de l’Allemagne, selon le sens réel de cette subite évacuation des principautés.

Quel est le caractère de ce mouvement de retraite de la Russie ? Toute la question est là aujourd’hui. Le rappel de l’armée russe serait-il un acte suprême de déférence envers l’Autriche ? Cache-t-il d’autres desseins au contraire ? Est-ce une combinaison stratégique destinée à faire face par une puissante défensive à tous les périls à la fois ? Il est certain que l’empereur Nicolas, ne fût-il mû que par la pensée de continuer la guerre, n’agirait point autrement, puisqu’il serait insensé à lui d’exposer son armée à être cernée par toutes les forces coalisées des puissances intervenantes. Par elle-même, l’évacuation des principautés n’est donc point absolument un signe de paix. Ce n’est point sans raison que nous résumions les élémens principaux de la situation actuelle en montrant l’Angleterre et la France présentes sur le terrain de la guerre, l’Autriche disposant son armée et décidée, à faire prévaloir sa dernière sommation, la Turquie soutenant victorieusement la lutte, et la Russie s’obstinant vainement jusqu’ici dans un siège où elle ne réussit qu’à faire périr ses soldats, à perdre ses meilleurs officiers. La première impression qui en résulte, c’est qu’en se rendant à la nécessité de la paix dans de telles conditions, le gouvernement russe se résignerait sans coup férir à la plus grande défaite morale que puisse essuyer un état de premier ordre. Ce qu’il aurait pu faire il y a un an avec honneur, sans rien perdre de sa position dans le monde, le tsar le ferait aujourd’hui avec ses armes humiliées, sous le coup d’une sommation impérative de l’Europe ! C’est là, il faut le dire, ce qui laisse quelque mystère sur le récent mouvement de l’armée russe, surtout quand on se souvient que le jour même où l’Autriche suppliait l’an dernier le cabinet de Saint-Pétersbourg de ne point envahir les principautés, l’empereur Nicolas donnait l’ordre à ses soldats de passer le Pruth. Si la retraite actuelle n’est qu’une opération straté-